«Quand je suis au milieu des cathos, je me sens comme une espèce d’agent double», confesse Alix de Saint-André. Catho parmi les athées, agent double au milieu des Cathos, voilà en tout cas une vraie romancière, à la plume tendre et féroce, trempée dans l’ironie et la poésie. A l’entendre parler avec tant d’esprit (dans tous les sens du terme) du chemin de Saint-Jacques ou de Françoise Giroud, m’est venue l’envie de relire le délicieux roman qu’elle avait publié à la série noire en 1994, au titre intrigant de «l’Ange et le réservoir de liquide à frein.»
«Il ne faudrait jamais regarder couler la Loire, c’est une chose fatale : après on ne sait plus faire que ça, et le reste est sans importance.» Ainsi commence ce roman de Loire élégant et irrévérencieux, où l’on croise un ange tout sauf flambant consigné sur terre le temps d’une mission épineuse, des religieuses accidentées, une série de morts suspectes dans un pensionnat religieux, un beau prêtre béninois au «rire africain» et deux fillettes attachantes jouant les Sherlock Holmes avec les moyens du bord. L’histoire commence dans les années 70, juste après le concile Vatican II, véritable révolution dans le catholicisme. Voici venu le temps des «célébrations de la foi», des «sacrements de réconciliation» collectifs où l’on écrit des péchés inventés sur des petits bouts de papier pliés que le prêtre brûle ensemble, le temps des panneaux illustrés où Jésus est un copain en baskets qui se déplace rarement sans ses amis Gandhi et Luther King, le temps des premières opérations bol de riz, des messes en français, du catéchisme «senti avec le cœur» remplaçant les rudiments de théologie récités par cœur... Tout cela donne lieu dans le roman à des scènes irrésistibles... Ceux qui les ont vécues les reconnaîtront !
Il y a forcément beaucoup de l’auteur dans ce roman plein de fantaisie, hilarant et sombre où les petites filles redoutent que la Sainte Vierge leur apparaisse pour leur demander de bâtir une basilique dans le jardin, où les parents d’élèves sont terrorisés par la Mère Supérieure et où chaque année les troisièmes sont priées de rattraper les impasses du programme quelques jours avant le BEPC. Sa plume limpide qui restitue les parlers régionaux aussi finement que les joutes en latin, instillant de la poésie au détour d’une page avant de resserrer autour du lecteur les nœuds d’angoisse d’une intrigue vraiment noire, est un régal pour gourmets littéraires. Alix de Saint-André n’a pas tort de se qualifier d’agent double, car il faut avoir grandi «à l’intérieur» pour brocarder avec tant d’humour ravageur et de tendresse mêlées les travers d’une religion catholique capable du pire et du meilleur, le pire étant ce jansénisme mortifère qui n’a pas fini d’y sévir. Parce que qui bene amat bene castigat, il fallait une Alix de Saint-André pour restituer au personnage de la religieuse toute sa dimension tragi-comique, ou pour dépeindre les grandeurs et les faiblesses de ces gens de Loire auxquels elle est si profondément attachée.
Après avoir refermé à regret l’Ange et le réservoir de liquide à frein, vient l’envie de réclamer à l’auteur un nouveau roman noir, même si elle a largement prouvé depuis qu’elle savait raconter des histoires sous d’autres formes littéraires.
Alors, Alix, à quand un autre roman noir ?
En attendant qu’elle s’exécute (et en espérant qu’elle n’attendra pas qu’un ange vienne le lui demander en personne) je vous invite à ne pas bouder votre plaisir et à lire ou relire l’Ange et le réservoir de liquide à frein. Comme il existe en poche, vous pouvez même l’emporter en pèlerinage à Compostelle.
Gaëlle Nohant
Dans l’extrait suivant, la redoutable directrice de la pension, Mère Adelaïde, fait une tournée d’inspection surprise chez les sixièmes qui se préparent à la profession de foi. Interrogeant la première de la classe, Agnès, elle va constater que la catéchèse d’après Vatican II est plus flottante que le bon vieux catéchisme d’antan :
«— Bon, Agnès, croyez-vous en Dieu ?
— Oui, ma Mère.
— Voilà un début encourageant, et qu’est-ce que Dieu ?
— Dieu est amour... répondit Agnès sans se mouiller.
— Mais encore ?
— C’est notre Père.
— Bien sûr, mais ensuite ? Quelle est Sa nature ? Qu’a-t-Il fait ? Quelle est Sa volonté?
— Bah, il a créé tout l’univers, il nous aime... Il est gentil...
— ... GENTIL ? GENTIL ! Comment pouvez-vous dire une chose pareille, malheureuse! Vous avez entendu, Mère Antoinette : Dieu est gentil... C’était gentil, peut-être, petite sotte, de détruire Sodome et Gomorrhe ? C’était gentil, le déluge ? C’était gentil de demander à Abraham de sacrifier son fils ?
Et un grand coup de béquille sur le bureau. Silence.
— Sachez, jeunes filles, que Dieu n’est pas gentil, il est bon. Dieu n’est pas niais... Qu’est-ce qu’on leur a appris, à ces petites, excepté à découper le journal ?»