Ce billet est dédié à Cuné qui m'a refilé la patate chaude et à Fashion Victim qui a toujours des idées aussi exquises qu'originales. Il s'agit donc de parler de mes petits snobismes. Evidemment, si on me le demande, je ne suis pas snob pour un sou. J'ai appris ce qu'était le snobisme en lisant Proust et autant vous dire que la peinture qu'il faisait des snobs ne donnait pas très envie d'appartenir à leur côterie. Mais ça n'empêche pas qu'à mes heures... enfin j'ai certaines exigeances et je tiens à ce que j'appellerais mes "particularités". Les voici, donc, puisqu'on m'oblige à les avouer !
1. Je ne lis JAMAIS un livre qu'on m'a conseillé de lire ou forcée à lire... je sais, c'est assez gonflé de ma part, alors qu'ici je passe mon temps à conseiller des bouquins en espérant de tout cœur que la contagion s'étendra ! Mais c'est une habitude tenace qui vient du collège, voire même avant. J'ai toujours considéré la littérature comme un jardin privé où je pouvais vagabonder en totale liberté, sans aucune espèce de contrôle. Toute petite, je planquais des livres sous mon lit et j'allais débusquer ceux qui étaient planqués dans "l'enfer" de la bibliothèque de mon arrière-grand-mère... quand mes professeurs se sont avisés de m'obliger à lire des livres "au programme", j'ai trouvé ça tout à fait saugrenu, pour ne pas dire un acte d'autoritarisme insupportable.
Aussi ai-je toujours pris un malin plaisir à lire toujours un autre livre que celui qui était au programme. Par exemple, si on me forçait à lire Germinal (programme de seconde, je ne l'ai jamais lu), je lisais Thérèse Raquin et Le ventre de Paris. Si on me forçait à lire sous la menace d'une arme Le rouge et le noir, je le survolais et lisais derechef La chartreuse de Parme. Puis je passais le trimestre à expliquer pourquoi La chartreuse de Parme était aussi délicieux que Le rouge et le noir était désagréable.
Et encore aujourd'hui... si on me prête un livre ou qu'on me l'offre, je risque de le lire... mais dans plusieurs mois, dans un an, bref, quand on aura oublié son existence et que je le redécouvrirai sur un rayon de ma bibliothèque ! Mais bien sûr, ça n'empêche pas que j'adore qu'on m'offre des livres et qu'on m'en conseille... Je suis d'une rare indépendance, quand il s'agit de lecture. Je ne supporte tout simplement pas la contrainte. Je suis une anarchiste de la lecture. Et je le reconnais, c'est un peu snob.
2. Mon idéal masculin est un personnage de roman. Vous me direz, je suis sûre que je ne suis pas la seule.. rien que parmi les blogueuses, voyons, si on faisait un sondage...
Un jour, j'avais huit ans, j'ai ouvert un roman qui traînait dans la maison et dont la présence chez moi était pour le moins incongrue. (25 ans d'enquête patiente plus tard il s'avère qu'il appartenait à mon père... quelle midinette celui-là !) C'était Jane Eyre.

Et j'ai vécu le vrai choc amoureux, celui qui vous retourne le cœur et vous le transforme à jamais. Edward Rochester est devenu pour moi la quintessence de l'âme-sœur. Si j'avais su que dans la vraie vie, les Rochester sont une espèce en voie d'extinction et que ce choix allait me destiner à des déceptions en nombre... j'y aurais réfléchi à deux fois ! Mais bon, on ne se refait pas. Jane Eyre est le livre que j'ai le plus relu entre huit et dix-sept ans, certaines pages sont encore gondolées par des larmes vieilles de quinze ans. Et je considère toujours que l'homme idéal est un personnage captivant, profond, d'apparence hostile mais dont la surface rugueuse cache un cœur battant et un être en fusion, et qui a une femme folle cachée au grenier, histoire de pimenter un peu la vie. Du même coup, la beauté de Brad Pitt m'a toujours laissée des plus indifférente. Pour toujours, je suis touchée par le charme d'un homme et je n'aime pas les beautés lisses. Je n'aime pas le lisse, tout court. J'aime les personnalités bien trempées et les hommes qui savent aimer. Tout est de la faute de Charlotte Brontë et d'Edward Rochester.
PS : je ne tiens plus trop à la femme folle planquée au grenier, aujourd'hui. Ni aux vicissitudes de la vie qui rendent Rochester infirme pour que le happy end ne soit pas trop happy.
3. J'ai des amoureux post-mortem. Ce qui est très snob. Il y en a qui se contentent d'être sorties avec Patrick au CM2 qui avait un appareil dentaire, ou avec Jean-Paul qui chevauchait une moto rouge et avait un problème de salive... moi, j'ai trois amoureux post-mortem que je chéris et vais parfois visiter au cimetière (pour ceux dont je connais la tombe). Le premier, c'est Robert Desnos.

Ah, Robert... Je suis tombée amoureuse quand j'avais seize ans, en classe de français (ce qui contredit mon petit 1, mais je ne suis pas à une contradiction près. Desnos était en effet au programme, mais ce fut mon seul engouement de l'année).
"Deux montagnes étaient semblables de forme et de dimensions.
Tu es sur l'une
Et moi sur l'autre.
Est-ce que nous nous reconnaissons ?
Quels signes nous faisons-nous ?
Nous devons nous entendre et nous aimer.
Peut-être m'aimes-tu ?
Je t'aime déjà.
Mais ces étendues entre nous, qui les franchira ?
Tu ne dis rien mais tu me regardes
Et, pour ce regard,
Il n'y a ni jour ni étendue
Ma seule amie mon amour."
Que voulez-vous, j'ai lu ça et forcément, j'étais cuite... Depuis j'ai suivi Robert partout. J'ai emprunté mille fois les itinéraires qu'il aimait tant dans le vieux Paris des Halles, du quartier St Jacques-La-Boucherie, du quartier de l'Horloge au cloître St Merri et à l'abbaye-St Germain-l'Auxerrois... Ses mots m'ont escortée des années durant et m'accompagnent encore telles des langues de feu dont la brûlure me régénère et m'apaise.
Après, il y a Albert Camus.

Bon je sais, Robert, Albert... ça fait un peu daté mais mes amoureux post-mortem ont l'âge qu'ils ont. Et Albert Camus, excusez du peu.... il écrase facile une bonne partie des hommes de cette planète, vous en conviendrez, tant au niveau de la personnalité que du talent et sans parler du charme...
Et enfin, Emmanuel D'Astier de la Vigerie, qui fonda au tout début de la guerre de 40 un des grands mouvements de Résistance : Libération-Nord, aux côtés notamment de Lucie Aubrac.

D'Astier prit très tôt le contrepied de sa famille pour aller se battre durant la guerre d'Espagne, puis en s'engageant dans la Résistance. Là encore, je tombai amoureuse en lisant son livre : sept fois sept jours. Depuis, je ne rate pas l'occasion d'aller lui offrir mes pensées quand je passe au cimetière du Père Lachaise.
Je sais, c'est très snob d'obliger son amoureux à succéder bon an mal an à trois hommes exceptionnels, chacun dans son genre, dont deux artistes hors pair. Et qu'il ne puisse rien dire ni montrer de la jalousie sans avoir peur du ridicule. Ni les effacer d'un revers de manche... puisqu'ils sont un peu connus. Sinon, le grand avantage des amoureux post mortem c'est qu'ils sont faciles à vivre, toujours d'accord avec vous (quoique Camus se montre parfois assez retors dans les discussions politiques), toujours à disposition mais d'une discrétion rare quand vous avez envie d'avoir la paix.
4. Quand je suis très déprimée, j'ai des remèdes bien à moi. Au lieu de lire le dernier roman en date de la chick litt' (bien que j'aie aussi un faible pour "Sex and the city"), je préfère me plonger par exemple dans le journal de Marie Bashkirtseff. La connaissez-vous ? Cette jeune-fille extraordinaire vécut au XIXème siècle à Paris et mourut à vingt-six ans de la tuberculose.

Entre temps, elle fut peintre, sculpteur et elle écrivit ce journal qui est une petite merveille, et où on lit par exemple :
"A part les rires et les chansons, si je traduisais mes pensées avec la brutalité qui me caractérise, Je dirais qu'il me tarde de me marier pour devenir la maîtresse de M. de Cassagnac."
Ou encore :
"C'est au mois de février que j'ai été le plus amoureuse du duc, c'est aussi au mois de février que je suis devenue amoureuse d'Audiffret, c'est au mois de février également que je l'ai été d'Antonelli et c'est encore au mois de février que je le suis devenue d'Alexandre. A ma place je prendrais garde puisque nous sommes au mois de février."
Lire les émois et les bonheurs de cette jeune personne piquante et irrésistible me rappellent que les choses de la vie et de l'amour n'ont jamais cessé d'être compliquées, sans parler de la psychée féminine et de ses abysses. C'est réconfortant. Marie, où que vous soyiez, merci !
5. A mes yeux, être cultivé fait partie des charmes essentiels d'une personne. Alors c'est vrai que j'apprécie aussi de passer une soirée avec des copains qui ne s'intéressent qu'au foot et pour qui aller au cinéma se résume à voir Spiderman III (que j'ai vu aussi), qui ne comprendraient pas qu'il me soit arrivé d'aller voir des films chinois longs de trois heures ou un festival de cinéma polonais en V.O. (nous étions deux dans la salle et ce fut TRES long). Mais quand même, je préfère pouvoir échanger des heures durant avec quelqu'un (ou quelqu'une !) de curieux, de cultivé, et pour qui la Nuit de Cristal n'est pas la dernière animation des vitrines de Noël des Galeries Lafayettes. Et un homme qui lit, croyez-moi... c'est beaucoup plus séduisant que l'adoptionnite aiguë de Brad Pitt.
6. J'ai un peu de mal avec tout ce qui est "hyper à la mode" en terme de littérature. Par exemple, l'Elegance du Hérisson que je lirai peut-être... dans quatre, cinq ans.
Ou Beigbeider, que je trouve très surestimé. Ou tous les poseurs qui pensent qu'écrire est le marchepied pour être convié aux soirées privées de Karl Lagerfeld, et qu'on n'écrit bien qu'après avoir éclusé plusieurs boîtes VIP et être rentré l'œil hagard à quatre heures du matin. En vérité, entre le glamour et la littérature, il faut souvent choisir. Il y a un côté assez monacal dans l'écriture, lâchons le mot, même si je comprends que pour draguer, dire qu'on passe ses journées à écrire entre quatre murs et que le soir on est vanné... ne soit pas l'argument massu.
7. Rien à voir avec la littérature... mais je n'aime pas les Bronzés. Ça ne m'a jamais fait rire, à peine sourire, et je trouve qu'avec le temps ils sont devenus lourds comme un baba au rhum qui aurait trempé dans de la mélasse et séjourné ensuite dans la crème chantilly un peu trop longtemps. Et quand je vois qu'ils ont trouvé le moyen de massacrer un petit film que j'adorais quand j'étais petite, L'auberge rouge de Claude Autant-Lara, avec leurs rires bovins et leurs gros sabots... je me demande quand ils partiront enfin à la retraite, qu'on puisse rigoler de choses drôles. C'est d'aileurs injuste que les Anglais aient les Monty Python quand nous avons les Bronzés, vous ne trouvez pas ? Et si on a les comiques qu'on mérite, qu'avons-nous fait au Ciel ??
(je fais toutes mes excuses à ma cousine préférée qui les aime et est capable de réciter des films entiers, réplique par réplique.)
8. Une petite dernière. J'ai un préjugé de snobinarde envers Prison Break. Je refuse de le voir et chaque fois qu'on m'en parle, je rétorque : "Bah... moi j'adorais Oz, rien à voir. Une série exceptionnelle, des acteurs brillantissimes, des scénarios noirs de chez noirs, une profondeur... enfin bref, je ne pourrai jamais me faire à Prison Break", avec l'air sceptique et blasé de celle à qui on ne fera jamais croire qu'un Beaujolais nouveau arrive à la cuisse d'un Pernand-Vergelesse.

De la même manière, j'explique à qui veut l'entendre que toutes les séries pâlissent devant Twin Peaks. Alors qu'en douce, je regarde et suis totalement accro à Dexter, Medium, Desperate Housewives, Dr House, etc, etc, etc. Mais chuuut... si on me questionne, je m'en tiendrai à un seul mot : David Lynch.
Finalement, en cherchant bien j'aurais pu encore en aligner quelques uns, des snobismes... donc merci les filles de m'avoir forcée à affronter ma vraie nature. Et parce que ce questionnaire semble avoir été créé pour eux, j'attends de Thom et de Gaël qu'ils s'y collent à leur tour.
Bonne soirée et si je ne reviens pas poster d'ici là, très joyeux noël à tous !
Gaëlle
PS : Oups, toutes mes excuses à Magda qui, la première, a lancé la revendication provocatrice de la snobitude...