«Selon les termes de Dale Murphy, la plèbe de Baker
est une foule surmenée, intarissablement mélancolique, de patriotes sectaires
qui verraient volontiers tous leurs voisins bien-aimés se balancer au bout
d’une cravate en fil de fer, pendus aux réverbères tout au long de la route du
boulot. C’est le pays des autocollants «Jésus est parmi nous!» sur les
râteliers à fusils, le pays où l’église est le pivot de la vie quotidienne, où
la marque de sa voiture compte plus pour le prestige d’un homme que sa femme,
où les racines familiales plongent, et parfois s’entrelacent, aussi profond que
l’eau de source. La communauté tourne autour de mariages, d’enterrements, de
rencontres sportives scolaires, de la maxime éternelle selon laquelle «ça ne
peut pas merder si je bosse un max», et de l’absorption quotidienne d’une
quantité aussi importante que possible de bibine.»

Âgé d’une vingtaine d’années, Egolf débarque à
Paris avec son manuscrit sous le bras. Alors qu’il joue de la trompette sur un
pont, Marie Modiano, la fille du romancier, le rencontre et l’héberge un temps.
S’attachant chaque jour davantage à ce garçon singulier, les Modiano découvrent
en lisant son manuscrit qu’ils ont affaire à un écrivain prodige. Le
Seigneur des Porcheries ayant été refusé par soixante-dix éditeurs
américains, Patrick Modiano le recommande chez Gallimard qui le publie. C’est
le début de la légende d’un écrivain météore qui sortira trois romans-dynamites
avant de regagner son pays natal et d’y mettre fin à ses jours le 7 mai 2005, à
trente quatre ans, quelques mois après la réélection de Georges Bush. Comme si
voir triompher à nouveau cette Amérique-là, celle qu’il s’était appliqué à
vitrioler si talentueusement, était la goutte qui faisait déborder le vase du
désespoir.
Disparaissant
à peine surgi, Egolf s’est inscrit au panthéon des auteurs cultes dont les
romans circulent sous le manteau, aux côtés de John Kennedy Toole ou de
Salinger. Il partage avec Quentin Tarantino une certaine jubilation pour les
jeux de massacres, excelle dans la peinture du chaos et de la déliquescence de
sociétés avariées, consanguines, pourries de l’intérieur par des décennies en
vase clos, ruminant une culture faite de violence, d’intolérance et de
préjugés.

«L’ultime assertion de John : obligés de subir le
supplice de la planche, nous conservions la prérogative, le droit inaliénable
de faire une bombe dans les eaux infestées de requins qui nous attendaient.»
Je vous
invite à vous jeter sur ce roman désopilant, féroce et poignant, à vous
attacher à votre tour à ce héros malmené venu sonner la révolte des Boueux. Et
je vous prédis que vous le refermerez avec la gorge serrée, parce qu’un
écrivain prodige qui met fin à ses jours rend tout le monde orphelin.
«Pour nous autres, nous aurions le temps de parvenir
à nos propres conclusions. En commençant par cette soirée de la fin mai où il
apparut pour la première fois sur notre décharge dans son pantalon déchiré et
ses chaussures noires orthopédiques, nous ressasserions chacun des souvenirs
dont nous disposions, à la recherche d’un indice qui nous permette de
comprendre comment un être aussi jeune et étrange avait pu croiser notre
chemin, puis le dynamiter aussi complètement, et nous quitter subrepticement
pour nous laisser imaginer le reste.»
Gaëlle
Nohant
9 commentaires:
Ton billet est magnifique (comme toujours), je ne peux que noter ce titre précieusement. Merci.
Bon ben d'accord hein, je note, comment résister à tant d'enthousiasme :-)
Ta note me fait presque regretter de l'avoir déjà lu !
Mais je ne peux qu'approuver, puisque c'est un de mes romans préférés...
Bladelor : merci. Et fais-nous partager ton avis quand tu l'auras lu :-)
Yue Yin : ah oui note, d'autant que tu vas adorer ce livre!
Inganmic : si mon billet te donne la nostalgie de ce roman fabuleux, c'est réussi ! Moi au bout de vingt pages, je me suis dit que ce roman aurait sa place dans le top ten de mes romans préférés, toutes époques confondues. A bientôt, merci de ta visite.
Je l'ai dans ma PAL depuis un moment, il sortira un jour ou l'autre. Ton billet me fait dire que j'ai là une pépite !
Une pépite oui, absolument Sylire! Un grand moment de lecture t attend. Ravie de te revoir dans ce café!
Je te suis, mais je ne laisse pas forcément de commentaires. Tes billets sont très beaux, je rejoins Bladelor...
J'ignorais les aventures du manuscrit du "Seigneur des porcheries". Egolf est un auteur que je dis encore découvrir, mais ça viendra. Merci pour ce billet.
Lilly, merci à toi pour cette visite, je serais curieuse d'avoir ton avis sur le Seigneur des Porcheries, c'est un véritable ovni littéraire. Bonne journée !
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