30 juillet 2006

Maîtres et valets

Bonsoir à tous ! Etant donné que je pars mercredi en vacances en Bretagne, et ceci jusqu'au 21 août, je ne voulais pas vous laisser sans un dernier billet, mais je vous prie de m'excuser par avance si mes réponses à vos commentaires sont tardives : il n'y a pas foules de cybercafés dans le coin des Côtes d'Armor où je vais aller me ressourcer, et il se peut que je ne vous réponde pas sur le champ : donc ne vous impatientez pas. Je répondrai, dès que je pourrai. Voilà.


Ce soir j'avais envie de vous parler des domestiques, ceux d'autrefois, ceux que toute "bonne famille" se devait de posséder en nombre, tout en se plaignant amèrement que "de nos jours, on ne parvienne plus à être servis correctement." Il se trouve que c'est un sujet qui me touche de près, si l'on peut dire, car si je remonte dans mon arbre généalogique, au moins une partie de cet arbre, je ne dégotterai pas beaucoup de domestiques, mais un nombre très respectable d'employeurs... cette relation très particulière, ambiguë à souhait, m'a toujours interrogée et révoltée, même si, de mon temps, ces choses relevaient déjà du passé, et que je n'ai jamais vu un domestique dans mon environnement. Mais enfin, certaine tragédie familiale m'étant parvenue par un canal inexplicable et m'ayant longtemps hantée (pour les petits curieux, un texte qui en parle figure dans mon annexe), je me suis toujours sentie du côté de ces êtres qu'on achetait peu cher, qui se devaient d'être invisibles mais corvéables à merci, de n'avoir aucune vie privée, pas d'autre famille que celle de leurs patrons, et qu'on a relégués, au XIXème siècle, dans les sixièmes étages, les combles accessibles par les seuls escaliers de service, bref aussi loin que possible du regard des bonnes gens. La condescendance, le mépris, l'autoritarisme, le sadisme, le renvoi, étaient les armes du maître et de la maîtresse de maison. Comme nous le verrons, les domestiques avaient développé leurs propres ripostes. Insuffisantes la plupart du temps. Mais leur pouvoir était réel : ils avaient des yeux et des oreilles. Ils s'en servaient. On les maltraitait à haute voix ou en sourdine, peu à peu ils en prenaient conscience et se vengeaient. Ainsi, le fameux leitmotiv selon lequel "on n'était plus servis correctement" devint de plus en plus fondé au cours de ce XIXème siècle où les domestiques cessèrent d'être transparents, d'être des non-personnes, au point qu'on devînt gêné de leur présence, tout en étant incapables de se passer d'eux. Au XVIIIème, nous apprennent les historiens, une duchesse pouvait se baigner nue devant un valet, cela n'avait aucune importance, un domestique à ses yeux était purement utilitaire, il n'était pas sexué. Mais le XIXème siècle fut celui de la conquête de l'intimité, du secret. La violence régnait souvent, plus ou moins sourde, dans les demeures altières et feutrées, mais il n'était pas question que ça transpire à l'extérieur. Et cela transpirait, à travers la domesticité. Les maîtres classaient le personnel en catégories, rebaptisaient leurs gens, niant ainsi leur identité ; les valets et les bonnes se moquaient des travers des maîtres, riaient en soupente des maris cocus et des déconvenues sociales de bourgeoises visant les sommets de la société sans jamais les atteindre. Tout cela existait déjà dans les siècles précédents, les comédies de Molière en regorgent, parmi tant d'autres, mais au XIXème siècle les serviteurs devinrent des intrus dont il fallait se méfier en les surveillant sans cesse.

Comme d'habitude, je ne prétends pas être exhaustive, et heureusement car vous me connaissez, une fois lancée... je ne sais pas faire court ! Je me contenterai donc de vous parler de trois romans et deux films. S'y entremêlent tous les versants du rapport maîtres-valets, des plus caustiques aux plus sombres, de la tristesse des gens volés de leur vie à la chaleur des relations qui se nouaient au sein des familles les plus rigides, notamment entre les domestiques et les enfants mal aimés — ou aimés de loin — de la maison.


Tout d'abord, un de mes romans favoris, que je conseille chaudement à tous ceux et celles qui n'ont pas encore eu le bonheur de le lire. Quels petits veinards. Il s'agit de Captive, de Margaret Atwood. Il raconte l'histoire d'une servante, Grace Marks, qui fut condamnée en 1859 à perpétuité, au Canada, pour le double meurtre de son patron, M. Thomas Kinnear et de sa femme de charge, Nancy Montgomery. L'histoire commence lorsqu'un médecin aliéniste un peu particulier, Simon Jordan, décide de faire de cette femme un sujet d'enquête. La plupart des aliénistes ont considéré que Grace Marks était une menteuse et une simulatrice pleinement responsable de ses actes, elle a été enfermée un temps à l'asile, mais au moment où ce médecin entre dans sa vie, elle est devenue une pensionnaire modèle que la bonne société reçoit et emploie à de menus travaux de broderie, poussée par un voyeurisme disculpé par la "charité" : on veut voir la célèbre criminelle de ses chastes yeux, en grignotant quelques gateaux secs.
Grace est encore jeune. Elle est belle et triste. Peut-être est-elle une simulatrice, peut-être une victime. Le docteur Jordan s'est donné la tâche de le définir. Il va entendre la longue confession de cette femme, de plus en plus fasciné par elle, en proie au doute, à la violence de ses propres sentiments. Mais pour comprendre Grace Marks, et comment elle en est arrivée à noyer sa propre vie dans le sang, il faut écouter l'histoire depuis le début : gamine grêle et famélique, énième rejetonne d'une famille de loqueteux irlandais dont le père boit le maigre salaire et ferme les bouches affamées avec des coups, elle embarque un beau jour avec sa famille pour le Canada, reléguée avec les pauvres, au milieu des épidémies et des cadavres qui jonchent la traversée. Sa mère meurt en route, sa mère perpétuellement enceinte, comme atteinte d'une longue maladie de gestation. Les aînés s'étant enfuis de diverses manières, Grace, à 12 ans, est sommée par son père de se placer comme domestique. Sa sœur de neuf ans s'occupera des autres mômes. Voilà le contexte, au moment où elle est admise chez les Parkinson, suite à un examen par Madame Gentil, la femme de charge, et dont voici quelques extraits :

" Mme Gentil me regarda, la bouche pincée, et déclara que j'étais très efflanquée, qu'elle espérait que je n'étais pas malade et de quoi ma mère était-elle morte ; Mme Burt répondit que ce n'était rien de contagieux, j'étais juste un peu petite pour mon âge, je n'avais pas terminé ma croissance, mais j'étais très noueuse et elle m'avait vu charrier des piles de bois exactement comme un homme.
Mme Gentil prit ça pour ce que ça valait, esquissa une grimace et demanda si j'avais mauvais caractère, étant donné que c'était souvent le cas avec les rouquins ; Mme Burt répliqua que j'avais le caractère le plus aimable qui soit au monde et que j'avais enduré tous mes malheurs avec la résignation chrétienne d'un saint.[...]
Madame Gentil hésita alors, comme si elle faisait des additions dans sa tête ; puis elle demanda à voir mes mains. Peut-être voulait-elle voir si c'étaient des mains de quelqu'un qui travaillait dur ; mais elle n'avait pas besoin de se tracasser, elles étaient aussi rouges et rugueuses que possible et elle parut satisfaite. On aurait crû qu'elle achetait un cheval ; je fus surprise qu'elle ne demandât pas à regarder mes dents, mais je suppose que si vous payez des gages vous voulez en avoir pour votre argent."


Voilà Grace embauchée. Elle se fait vite une amie, Mary Whitney, fille charmante dotée d'un sacré tempérament. Elles partagent la même soupente où il fait chaud l'été et un froid glacial l'hiver, l'étage des domestiques n'étant jamais chauffé. Mary la prend sous son aile et lui apprend la vie, l'emmène voir les prostituées, dont le destin est si proche des leurs, car cet état sera leur dernière chance de survivre en cas de renvoi. Elles ne sont que des sœurs moins fortunées. Au contact de Mary, la petite Grace trouve sagesse et consolation :

" [...] Elle disait qu'être servante c'était comme tout le reste, qu'il y avait dans ce métier un truc que beaucoup n'apprenaient jamais, et que tout était dans la façon de regarder les choses. Par exemple, on nous avait toujours dit d'utiliser l'escalier de service pour ne pas se mettre sur le passage de la famille, mais, en vérité, c'était le contraire : le grand escalier était là pour que la famille ne se mette pas sur notre passage. Ils pouvaient monter et descendre le grand escalier en traînassant dans leurs habits luxueux et leurs colifichets, pendant que le vrai ouvrage se déroulait derrière leur dos sans qu'ils se prennent les pieds dedans, et fourrent leur nez partour, et embêtent le monde. C'étaient des créatures molles et ignorantes, bien que fortunées, et la plupart d'entre eux, même tout près de se geler les orteils, étaient incapables d'allumer un feu, parce qu'ils ne savaient pas s'y prendre, et c'était un miracle qu'ils puissent se moucher ou se torcher le derrière, vu qu'ils étaient par nature aussi inutiles qu'une bite sur un prêtre — si vous me permettez l'expression, monsieur, c'est comme ça qu'elle l'a formulée — et que, s'ils devaient perdre tout leur argent demain et se retrouver à la rue, ils ne seraient même pas fichus de gagner leur vie avec d'honnêtes putasseries, car ils ne sauraient pas ce qui allait dedans ni où et ils finiraient par la fourrer — je ne dirai pas quoi — dans une oreille. [...]
En définitive, affirmait-elle, c'étaient nous les plus fortes, parce que c'étaient nous qui lavions leur linge sale et que nous savions dont beaucoup de choses sur eux, alors qu'ils ne lavaient pas le nôtre et ne savaient rien du tout sur nous. Et il y avait peu de secrets qu'ils pouvaient cacher à leurs domestiques."


Il semble qu'une telle sagesse n'ait pas suffi à protéger l'avisée Mary Whitney, qui finira mal, mourant des suites d'un avortement pratiqué par un boucher payé quelques dollars par le beau garçon de la maison qui l'a engrossée. Mais elle avait percé une vérité fondamentale : les patrons redoutaient leurs domestiques davantage que les larbins avaient peur des maîtres. Ils avaient éloigné la valetaille, mais ce qui pouvait bien se passer dans les fameux sixièmes étages hantaient les maîtresses de maison, les commérages les faisaient frémir, car ils circulaient d'une maison à l'autre, faisant et défaisant les réputations. Les femmes de chambres recueillaient les confidences des jeunes filles bien nées, ces secrets que leurs mères brûlaient de connaître sans y parvenir. Elles s'unissaient aux valets de pied, aux cochers, aux cuisinières, pour dévoiler en riant sous cape les travers de leur vie conjugale, les égarements neurasthéniques des grandes bourgeoises, les frasques des comtesses, l'alcoolisme ou la syphillis des hommes qui tenaient le haut du pavé, les tares génétiques qu'il fallait cacher à tout prix, sous peine de ne jamais marier ses enfants.

A ce stade, je vous laisse découvrir seuls la suite de la captivante histoire de Grace Marks, pour vous offrir un petit bijou cinématographique : "Gosford Park" de Robert Altman. Qu'il faut voir en version originale pour savourer les accents des uns et les autres (de plus, l'un des nœuds de l'histoire tient à la véracité d'un accent ! mais chut !... Je ne vous ai rien dit !), car les serviteurs, les nobles fin de race et les parvenus vont s'y côtoyer durant une partie de chasse dans une de ces demeurs immenses où l'on se perd dans les couloirs, et où chaque domestique porte le nom de son maître, "pour simplifier les choses". Dans ce film caustique et amer, chaque réplique fait mouche, ce qui n'est pas le cas des balles de ces messieurs quand ils tirent au fusil. Le maître de maison finira assassiné, mais là n'est pas l'intérêt, ou si peu. Il s'agit de la confrontation de trois mondes : en premier lieu celui des valets, qui savent être aussi snobs que leurs patrons, mépriser la petite bourgeoise dépourvue de bonne et son époux furieux de s'être mésallié pour l'argent... mais aussi pleurer sur leurs vies dépossédées. Une des deux femmes qui règnent sur le troupeau de la domesticité avoue en substance : " Ma vie ? Je n'ai pas de vie. Je suis la domestique parfaite, vous ai-je dit." Ensuite, celui des aristocrates, les vrais, dont la vie est bien morne, faite de rancunes vieillies en fûts, d'hypocrisie, d'amours ancillaires, de cynisme, de mesquineries et de blessures d'amour propre. Et enfin, celle des parvenus hollywoodiens : un des parents de la famille est un acteur célèbre, mais ici il n'est qu'un hystrion déconsidéré, un amuseur qui ne séduit que la valetaille, qui seule a vu et aimé ses films. Il est escorté d'un producteur hollywoodien qui prépare un film sur "ces gens-là", et que tous méprisent. Il y a une façon de vous redemander sans cesse votre nom qui est un crachat enrobé de politesse...
Les acteurs sont parfaits, la partition est dirigée de main de maître par Robert Altman, des pointures comme Derek Jacobi, Alan Bates, Kristin Scott Thomas, Emily Watson, Clive Owens ou Helen Mirren s'y affrontent dans un ballet cruel, policé et décadent qui vous séduira, je vous le promets. On se régale, mais on finit la gorge serrée. Je ne vous en dis pas plus...

Restons la gorge serrée, c'est préventif, pour le film suivant, "Les blessures assassines" de Jean-Pierre Denis, et quittons l'Angleterre pour la province française : le village de Marigné, où deux petites filles sont traînées de force à l'orphelinat du Bon Pasteur par une mère tyrannique et possessive : Elles s'appellent Emilia et Christine Papin, l'aînée a 14 ans, la cadette 8 ans. Emilia deviendra sœur, une "vocation" pour le moins dirigée par des nonnes acariâtres comme on les aime, et Christine sera arrachée à l'établissement avant de subir le même sort, parce que sa mère déteste encore plus les curés que cette enfant-là, et qu'elle ne se laissera pas voler la seconde : "Tu iras trimer chez les autre, comme moi !" lance-t-elle à cette petite Christine qui cache sous une détermination de fer une panique d'être abandonnée, elle qui a été abandonnée par son père, par sa mère qui ne l'aime guère, par sa tante Isabelle qui fut un temps l'unique recours mais a fini par se marier, par sa sœur Emilia qui dorénavant appartient au couvent et a tiré un trait sur ses sœurs. Car il y a trois sœurs. Une troisième, encore petite, attend à la maison son tour d'aller servir : elle est la préférée, la protégée de sa mère. Elle s'appelle Léa, et Christine — qui pourrait en être légitimement jalouse — l'aime d'un amour farouche, sacrificiel, exclusif. Cette enfant est la seule personne qui lui reste au monde. Sa mère est son ennemie. Mais voilà qu'à peine retrouvées elles se séparent, Christine est placée comme domestique pour la première fois, chez des bourgeois qui la sonnent pour un oui pour un non : L'épouse : " Alors, qui avait raison ?" Lui : "Ah, j'aurais juré qu'elle était blonde. Je conviens de mon erreur, pour moi, elle était blonde ! Vous pouvez disposer, Zéphyrine." Puis, à sa femme : "Je trouve ça charmant, Zéphyrine !"
Christine en tire plus loins, pour elle-même, l'amère conclusion : " Aide-moi Emilia, j'y arriverai jamais. C'est ça, être une bonne, servir de torchon aux autres et même plus savoir son nom?"


Pourtant, elle veut que sa sœur la rejoigne chez un autre employeur, qui les acceptera ensemble. Elles n'ont guère le choix d'une profession. Elles sont pauvres, et dépendantes de leur mère, qui règne sur elles par un éternel chantage affectif.
Ce film est une blessure qu'on éprouve de bout en bout, en en connaissant la fin : car peu de gens ignorent encore l'histoire tragique des sœurs Papin, qui assassinèrent dans une grande violence (les battant à mort, leur arrachant les yeux), le soir du 2 février 1933, rue Bruyère au Mans, leur maîtresse et sa fille, Mme et Mademoiselle Ancelin, femme et fille d'avoué. Christine fut condamnée à mort, puis à perpétuité, Léa fit de la prison. Leur crime fut une déflagration qui secoua la France entière, embrasa les intellectuels qui y virent une revanche sociale, les psychiatres qui y lurent les signes de l'emprise de Christine sur Léa et les effets barbares d'une schizophrénie inconsciente. On écrivit des essais, des romans, des pièces de théâtre sur les sœurs criminelles. On tourna des films (la cérémonie de Chabrol en est inspiré) On n'épuisa pas le sujet. Le film est une réussite, porté de bout en bout par deux actrices de grand talent : Sylvie Testud et Julie-Marie Parmentier. Comme pour Captive, comme pour Gosford Park, l'intérêt ne réside pas dans le "whodunit", mais dans la question qui taraude le lecteur, le spectateur : comment en est-on arrivé là ? La réponse est à la mesure de la question, et reste mystérieuse, car il est tant de réponses, tant de petites flèches prises en plein cœur, jour après jour, par ces filles à qui on ne pardonne pas le plus petit accroc, le moindre retard, un peu de sel renversé. Il y a bien sûr la fragilité psychique de Christine, sa paranoïa grandissante (ou sa lucidité ?), mais cette paranoïa n'est pas apparue sans cause. Cette "perle" a passé sa vie à être épiée, d'abord par des religieuses sévères, puis par des patrones intraitables, enfin à travers l'œilleton d'une cellule de prison ou d'asile psychiatrique. Désespérément seule et interdite du plus modeste bonheur terrestre.
Il faut voir le film avec l'éclairage supplémentaire de la passionnante enquête documentaire de Claude Ventura, En quête des sœurs Papin, qui ressuscite toute une époque, et livre des scoops précieux sur cette affaire dont bien des pans restent dans l'ombre, mystérieux à jamais, parce que seules les sœurs Papins savaient ce qui s'était vraiment joué entre elles et leurs patronnes ce soir-là, et les sœurs ne dirent que ce qu'elles voulaient, ou restèrent muettes... tant il est vrai, comme l'écrit Margaret Atwood, que si les domestiques n'ignoraient rien des petits secrets honteux de leurs maîtres, eux restaient de vivantes énigmes pour ces notables qui les scrutaient et les craignaient.


Il y avaient aussi des mal intentionnés et des manipulateurs de talent chez les domestiques, naturellement ! Je n'oublierai jamais la terrible Madame Danvers de Daphné du Maurier, sa silhouette menaçante, de noir vêtue, poussant l'héroïne au suicide du bord vertigineux d'une fenêtre de Manderley, demeure bien peu accueillante, hantée par le fantôme de Rebecca.

Dans le même genre, je vous conseille ce soir Aurora Floyd, roman écrit par la romancière victorienne Mary Elisabeth Braddon, qui dessine avec audace et talent une intrigue très prenante dont l'héroïne, la belle Aurora, petite fille riche et gâtée, a commis par le passé une de ces erreurs que la société ne pardonne pas. Elle parvient à épouser un homme bon, et qui l'aime, mais plus dure sera la chûte, et elle sera hâtée par deux domestiques qui haïssent la jeune femme : un simplet qu'elle a cravaché un jour parce qu'il avait battu son chien préféré, et Madame Powell, veuve d'un enseigne et femme de charge aigrie et perverse. La jeune femme, du haut de sa beauté, de sa jeunesse et de son bonheur conjugal, se croit hors d'atteinte. Mais l'auteur nous met en garde contre ces faux semblants dès le premier tiers du roman :

" Souvenez-vous de ceci, maris et femmes, pères et fils, mères et filles, frères et sœurs, que, lorsque vous vous querellez, vos gens se réjouissent. [...] Vos domestiques écoutent aux portes et répètent vos paroles de dépit à la cuisine ; ils ont les yeux sur vous quand ils vous servent à table ; ils comprennent les sarcasmes, les allusions les plus intimes, chacun de vos regards, aussi bien que ceux auxquels ces regard, ces allusions mordantes s'adressent. Ils comprennent votre silence embarrassé, vos politesses étudiées et intéressées. [...] Rien de ce qui se fait au salon n'est perdu pour ces impassibles et attentifs espions de l'office. Ils rient de vous ; bien plus, ils vous plaignent. Ils discutent vos affaires, évaluent vos revenus et pèsent entre eux ce que vous pouvez ou ne pouvez pas faire. [...] Ils savent pourquoi vous vivez en mauvaise intelligence avec votre fille aînée, et pourquoi vous avez chassé votre fils préféré ; et ils prennent un intérêt immense à tous les secrets qui troublent votre existence. Vous ne les admettez à rien ; vous avez l'air plus noir que le diable si vous voyez la sœur de Mary ou la pauvre vieille mère de John assise tranquillement dans l'office ; vous êtes surpris si le facteur leur apporte des lettres, et vous attribuez le fait au pernicieux système de l'éducation des masses ; vous les éloignez de leurs demeures et de leurs familles, de ceux qu'ils aiment et de ceux qu'ils affectionnent ; vous leur refusez des livres. Vous leur reprochez le coup d'œil qu'ils jettent sur votre journal ; et puis vous vous levez les yeux et vous vous étonnez qu'ils soient curieux, et de ce que le fond de leur conversation n'est que scandale et commérage."

Défendre à quelqu'un d'avoir une vie se paie cher. Lui interdire de tisser des liens, d'avoir des enfants, de se marier, le bannir de sa maison quand il a fauté, ce bannissement dût-il entraîner sa mort ou son emprisonnement, tout cela vaut bien quelques basses vengeances... nous ne savons pas ce qui conduit Madame Powell a être si garce avec Aurora. Mais nous connaissons l'attachement passionné, fanatique, que Madame Danvers portait à Rebecca. Car une fois que les domestiques avaient accepté de laisser leur vie à la porte de la maison, ils faisaient partie des murs, ils s'attachaient bon gré mal gré à cette famille, fût-elle par bien des côtés détestable. Les patronnes bourgeoises étaient souvent les pires, car leurs qualités d'épouses de notable se mesuraient à leur aptitude à contrôler et tyranniser le personnel. Soit qu'elles se fûssent élevées par l'argent en partant de bas, soit qu'elles fûssent nées avec une cuiller en or dans la bouche, elles partageaient la conviction qu'un sou est un sou, qu'on doit compter tout ce qu'on donne, mesurer strictement le beurre sur les tartines des bonnes et la gentillesse à l'égard de ceux qui triment, car sinon ils prendraient des habitudes d'insolence et de paresse, forts de cette affection, deviendraient gaspilleurs et mettraient en danger le patrimoine autant que la bonne tenue de la maison. Elles étaient donc intraitables, tandis que les artistocrates se distinguaient par une certaine habileté à jeter l'argent par les fenêtres... ce qui ne les empêchait pas de toiser leurs domestiques et de renvoyer une bonne pour un accroc dans un jupon ou un œil insolent. Il y a là aussi un effet pervers de la condition des femmes à cette époque, où le seul petit espace de pouvoir personnel qu'on leur octroyait était circonscrit à leur foyer (et encore, le plus souvent le mari détenait les cordons de la bourse), ce qui exacerbait certainement un sadisme de "petits chefs" exercé sur plus faibles qu'elles.

Mais ne généralisons pas. Il y eut aussi des domestiques bien traités, des domestiques aimant leurs patrons pour de bonnes raisons. Dans le chef-d'œuvre de David Lodge consacré à Henry James, L'auteur, l'auteur!, l'écrivain et son domestique, Noakes, un garçon qu'il a pratiquement élevé comme son fils, partagent un profond respect et une affection mutuelle, et ce dernier confie à ce monsieur qu'il admire tant, à lui et à personne d'autre, les horreurs qu'il a vécues sur le front de la Somme.

Bien des enfants, élevés à distance par des mères qui les apercevaient quelques minutes par jour entre deux occupations mondaines, et des pères qui leur faisaient réciter distraitement une leçon avant de regarder au travers d'eux, trouvèrent consolation, tendresse, compréhension dans les bras d'une nourrice, d'une gouvernante, ou un peu de chaleur humaine en fréquentant les cuisines, lieux reculés et interdits aux "gens d'en haut". Lesdites nourrices avaient souvent dû mettre leurs propres bébés à l'assistance, et s'attachaient à ces enfants presque malgré elles, cet amour les faisant infidèles à leurs mioches abandonnés. Ces enfants devenaient les leurs. Ou bien elles cachaient leur enfant naturel au risque de perdre leur place, comme dans le très beau film de Marco Bellochio, La nourrice. De l'amour fut donné et distribué généreusement par ces personnes amputées de leur vie privée. Cet amour fut souvent payé de retour par ces enfants mal aimés par leurs parents légitimes. Ainsi, dans La rose pourpre et le lys (je sais, je vous tanne avec ce roman, mais il m'a éblouie et mes yeux ne peuvent s'en détacher longtemps), Michel Faber dépeint une petite fille, Sophie, née d'une mère qui a refoulé jusqu'à son accouchement, et qui a pour mission d'exister le moins possible dans sa maison riche. Seule sa gouvernante, prostituée qui a su se hausser à ce rang armée de sa seule intelligence, lui donnera enfin l'amour que tout son petit être réclame, telle une fleur qui a grandi à l'ombre et loin de l'eau.

Mais n'oublions pas que sous le Second Empire, il y avait à Paris jusqu'à mille poursuites judiciaires par an pour infanticide, et que la grande majorité des accusées étaient des domestiques sur lesquelles les jeunes loups de la Haute Société s'étaient fait les dents avant d'embrasser une vie "respectable", les laissant enceintes et marquées du sceau de l'infâmie, seules et montrées du doigt pour avoir commis deux fois l'irréparable.
Il paraît qu'aujourd'hui encore, dans les beaux quartiers, chez les meilleures familles, ou du moins les plus riches, on trouve de petites esclaves sans papiers qu'on exploite sans vergogne, avec en plus, n'en doutons pas, le sentiment de leur sauver la vie.

Cela donne à penser, vous ne trouvez pas ?

Très bonne soirée à vous tous, en espérant n'avoir pas trop assombri votre retour de vacances, ou votre départ vers un lieu enchanteur... les livres et les films que j'ai mentionnés valent le détour, croyez-moi sur parole. Ok, vous préfèrerez peut-être feuilleter paresseusement quelques magazines, mais entre deux articles de fond sur les régimes des stars, pourquoi ne pas entrer dans les grandes demeures du temps jadis par la porte de service ?...

Gaëlle

Dernière minute : suite à vos commentaires sur la violence, qu'elle soit feutrée ou pas, et en particulier celui de la Trollette, je rajoute quelques mots : c'est vrai qu'il n'est pas toujours agréable d'affronter cette violence au cinéma ou dans les romans. Il y a des jours où je ne suis pas de taille. Il y a des films qui sont des épreuves que je ne m'infligerai pas de nouveau : par ex, "The Magdalene Sisters" De Geraldine Mc Ewan... j'étais enceinte quand je l'ai vu, je l'ai vu seule, et quand mon mari est rentré, il m'a trouvée le visage tellement raviné de larmes qu'il m'a demandé si quelqu'un était mort dans notre entourage ! Un autre exemple : "Breaking the waves" de Lars von Trier, que j'ai vu avec lui au cinéma... j'ai fait une vraie crise de larmes inconsolables à la sortie, ça ne m'était jamais arrivé, mon mari (quelle patience archangélique, cet homme-là !) a dû passer un long moment à me répéter que l'héroïne (Emily Watson) était une ACTRICE, que rien de tout ça ne lui était vraiment arrivé, qu'elle était toujours en vie. Du reste, dans Gosford Park, elle se porte à merveille, ce qui m'a rassurée... Mais n'empêche. Ce film était trop pour moi, je n'en voyais pas l'intérêt, je l'ai trouvé trop sadique et pour l'héroïne et pour les spectateurs.

Il m'a fait fuir longtemps toute nouvelle activité de Lars Von Trier, jusqu'à "Dogville". Une merveille, qui a en fait des liens étroits, dans son thème, avec mon billet : Grace (jouée par Nicole Kidman), jeune fille riche, échappe à des malfrats qui veulent la garder parmi eux, des gens violents, et atterrit dans une petite bourgade américaine, le genre "Petite maison dans la prairie", avec sa petite église à clocheton, ses bonnes gens... Grace culpabilise d'être riche, hait la violence. Elle va se mettre au service de ces gens qui l'ont recueillie, devenir peu à peu une domestique dont la gentillesse est un dû. Et plus les malfrats accentuent leur traque, plus les braves gens de cette excellente petite ville pensent avoir barre sur Grace, et plus ils réclament de "services" exorbitants en échange de leur asile... La charmante bourgade se mue lentement mais sûrement en lieu de pouvoir dont Grace est le souffre douleur, la victime immolée. Mais... les "braves gens" de Dogville, dont la bonté de Grace, malgré elle, dévoile le vrai visage, la méchanceté, les jalousies, la cupidité, la violence, n'ont pas toutes les cartes en main... je vous conseille à tous ce film, qui est une prouesse technique, une direction superbe d'acteurs excellents (au rang desquels Lauren Bacall, Ben Gazzara, Nicole Kidman au sommet de son art, et tant d'autres), et surtout une histoire pleine d'enseignement et de force. Tu as bien raison la Trollette, c'est vraiment le "comment on en arrive là" qui compte. Les bains de sang, les guerres mondiales, les émeutes, les révolutions, tout cela n'arrive pas comme ça un jour, sorti de terre comme un champignon. Il y a des années de mûrissement caché de la violence avant qu'elle éclate. Et même si ce n'est pas très agréable à regarder, c'est utile, car la violence revient plus que jamais au galop, aujourd'hui, là où nous vivons, à deux pas de chez nous, ou juste en face, dans l'appartement d'à côté. S'interroger sur les causes est toujours utile. Mais bon, vous avez le droit de ne pas enchaîner les films violents et les livres sanglants ! Un bon Astérix, un Agatha Christie, un peu de douceur Anna Gavaldienne dans un monde de brutes, ça fait du bien aussi. C'est les vacances, c'est vrai, quoi!!...

Bises à tous et à toutes. Je vous réécrirai dès que l'occasion d'une connexion internet se présentera. Promis.

45 commentaires:

Anitta a dit…

Encore une fois, quelle somme ! Tu m'impressionnes vraiment. N'as-tu jamais pensé à tenir la rubrique livres d'un journal -- un qui te laisse écrire aussi long, avec les références, les analyses et les extraits, pas qui expédie ses critiques en une mince colonnette ?
Je n'ai noté aucun livre : je n'ai pas encore épuisé la pile de ceux que tu nous as conseillés la dernière fois, ha ha ! Côté film, le hasard a voulu que je revois Les blessures assassines il y a peu sur le câble, et je n'ai pas un mot à retrancher ni à ajouter aux tiens (sauf, peut-être, celui-là : glurps !).
Bonnes vacances à toi, Gaëlle, et reviens-nous en forme !

Gaëlle a dit…

Merci Anitta !! Voilà des compliments très gentils qui donnent la pêche dès le matin. A part ça... ça existe, un tel journal ?... Même dans Lire, par ex, les articles sont mesurés et on ne peut pas s'étaler à loisir comme je le fais sur ce blog ! Non et puis je ne suis pas du tout sûre, pour le coup, que je ferais le poids auprès de journalistes littéraires professionnels. Et puis... je suis pour l'instant ivre de ma liberté bloguesque fraîchement conquise ! Moi aussi j'ai revu les Blessure pour être sûre de ne pas dire de bêtises. Et je te conseille le documentaire, si d'aventure il passe sur le câble ou ailleurs : c'est palpitant de bout en bout, et délicat. Une alliance parfaite. Bonnes vacances à toi aussi Annitta (mais au fait, prends-tu des vacances ?...), je compte bien profiter des miennes pour bouquiner entre deux baignades dans la Manche ! Bises à toi, et à très vite.

Wictoriane a dit…

Bonjour Gaelle, j'ai vu les blessures assassines et également "la cérémonie", deux films qui montrent l'escalade vers l'irréparable, des femmes meurtries, un peu fragiles, un peu tourmentées qui finissent par se rebiffer pour défendre leur liberté.
L'esclavage n'est pas humain...

Bonnes vacances à toi

Holly Golightly a dit…

Un beau billet pour vous faire rêver ou cauchemarder, grâce à la fée Gaëlle.
Moi, j'éprouve un complexe de culpabilité fort par rapport à la domesticité. Je n'ai jamais accepté d'avoir une femme de ménage par exemple... Certainement est-ce ridicule mais j'y verrai trahison de mes origines, qui se situent plutôt du côté des valets...
Le film d'Altman est, en effet, pure merveille.
Je préfère La cérémonie aux Blessures.
De tous les valets, c'est Crichton, l'ancêtre de Jeeves, que je préfère !
Et puis comment ne pas songer aux Vestiges du jour, un film si poignant (le livre d'Ishiguro mérite aussi le détour si l'on aime son style). Ivory est celui qui a le mieux décrit selon moi ce domaine.
"The butler did it !" Toute une tradition littéraire...
Mon dictionnaire me dit ceci : Middle English buteler, from Old French bouteillier bottle bearer, from bouteille bottle more at BOTTLE
Date:13th century...
Enfin, ce sujet mériterait un livre à lui seul ! Et je n'aurais pas eu personnellement le courage d'écrire ce billet riche et plein de verve !

Gaëlle a dit…

"L'esclavage n'est pas humain", bien d'accord avec toi Wictoria, et pourtant, même aboli dans les textes, il persiste sous divers masques financiers, derrière les bâches des camions en partance pour un ailleurs miné, dans les caves, les placards... plus que jamais, semble-t-il, le plus faible est une marchandise dans un monde entièrement marchand, et ceux qui signent les bordereaux de tous ces allers simples pour l'enfer sont parfois les mêmes qui paradent aux grands dîners de charité et font quelques chèques exorbitants au nom de leur "éthique" personnelle. Personne ne veut regarder en face les visages de ces nouveaux esclaves, tant il faudrait se mettre de puisssants à dos pour leur venir en aide, ils n'ont plus de nom et plus d'histoire. As-tu vu un téléfilm récent qui parlait de ces filles que les mafias achètent trois fois rien en Europe de l'Est ou dans le tiers Monde en leur faisant miroiter un avenir doré, et qui finissent en esclaves sexuelles dans nos villes, jusqu'à ce qu'elles en crèvent ? On les a rejetées des centre-villes vers les périphéries glauques où rôdent les clients les plus sauvages. C'est à regretter le bon vieux temps des maisons closes... enfin... tout ça n'est pas très gai pour une veille de départ en vacances...

Gaëlle a dit…

Ma chère Holly, j'ai bien failli parler des "Vestiges du jour", un film superbe et joué impeccablement par Anthony Hopkins et Emma Thompson, mais je l'ai revu il y a peu de temps et il m'a flanqué le bourdon pour la journée, tant il raconte avec talent comme une vie entière, et même deux, se consument au service d'un lord anglais assez infréquentable... c'est une somptueuse mécanique d'horlogerie, mais en le revoyant j'avais envie de gifler cet homme si touchant qui bouge à peine un cil et retourne servir quand on lui apprend que son père vient de mourir, ou que sa bien-aimée s'en va en espérant le faire bouger, oui, de le gifler jusqu'à ce qu'il se révolte... sans doute est-ce pour cela que j'ai préféré finalement parler du film d'Altman, où les sacrifiés et les révoltés coexistent, ou même des sœurs Papin, dont la rebellion terriblement sauvage dit assez le poids d'années entières d'asservissement. Je crois que je préfère encore la révolte la plus noire à cette disparition de l'homme derrière le majordome parfait !

Ce sujet mériterait un livre à lui seul, c'est certain, et moi je ne connais ni Jeeves (hormis de nom !) ni Crichton !! M'en diras-tu davantage ? Il faudrait écrire un tel livre à plusieurs mains, et se faire aider de tous les écrivains qui ont su regarder les domestiques, depuis la nuit des temps... j'en profite pour conseiller un tout petit livre de Jonathan Swift, "Instructions aux domestiques", petite merveille d'humour caustique.
Sinon je suis bien d'accord avec toi, chère Holly, je ne me vois pas avoir une femme de ménage, je crois que je ne saurais pas faire ça : d'un côté ou de l'autre de la barrière que nous nous trouvions, en tant que descendantes, l'héritage est pesant... dans un de mes bouquins d'historiens, Alain Corbin ou l'un de ses collaborateurs dit que le fait de se faire servir était une survivance d'un temps révolu qui n'arrivait pas à mourir. En ce qui me concerne, j'aurais l'impression d'être anachronique, et de remonter le temps dans le mauvais sens.

Gaëlle a dit…
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Holly Golightly a dit…

Ah, Maurice !!!!!!!!!
Un film superbe que j'ai découvert il y a quelques temps en achetant le coffret IVORY MK2 !!!!
J'adore ce cinéaste.
Décidément, on vit dans le même univers !!!!
Si j'ai de la force cette semaine, je ferai peut-être un petit billet sur Jeeves - et Crichton.
J'ai juste évoqué Crichton en passant sur mon blog.
Evidemment, Les vestiges du jour donne un sentiment de révolte immense !!!
Mais quel film !

Gaëlle a dit…
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Audrey H. a dit…

Bonsoir Gaëlle,

J'ai littéralement dévoré ton post de haut en bas sans m'arrêter et en le relisant une fois, dommage qu'il soit trop tard pour discuter!

La référence implicite aux "Remains of the Day" m'a immédiatement sauté aux yeux et m’a taraudée tout au long de la lecture, avant même de savoir qu’elle serait évoquée dans de nombreux commentaires. D'un film à l'autre avec "Gosford Park", l'on y découvre un Anthony Hopkins sous des dehors bien différents...

"La violence régnait souvent, plus ou moins sourde, dans les demeures altières et feutrées, mais il n'était pas question que ça transpire à l'extérieur.": cela subsiste encore. Rappelons-nous néanmoins avant de juger que plus les tapis sont épais et moelleux, plus grande la violence des chocs qu'ils étouffent!... Sans être moi-même visée, j’ai une prescience accrue de la violence contenue par ce côté sourd et feutré évoqué irrésistiblement dans certaines demeures.
J'en profite ici pour te conter une petite anecdote. Lorsque nous avons dû changer de gardien, l'une de mes voisines les plus fortunées, du moins habitant l'étage le plus élevé et donc l’un des plus grands appartements (plus on monte, plus les logements sont spacieux, comme de juste à Paris), bref cette dame insista devant moi sur les mérites du jeune homme pressenti: "Tu sais, Audrey, c’est important qu’il soit nommé : il est bien, X, il sait fermer sa bouche...". J’étais stupéfaite : elle aurait pu arguer des compétences de débrouillardise et de bricoleur du dit-jeune homme, mais non ! Toujours ce manteau de respectabilité à conserver envers et contre tout. Précisons que nous ne sommes pas dans un roman-fresque de Thomas Mann, mais à Paris en 2006, et que j'habite un quartier "normal", c’est-à-dire ni très huppé, ni déshérité cela-dit.

Par ailleurs, je me permets d'apporter une petite précision/rectificatif: s'il est peut-être aussi inspiré des mésaventures des soeurs Papin, ce que j’ignorais, le film "la cérémonie" de Chabrol l'est avant tout du livre "A Judgement in Stone" de Ruth Rendell, oeuvre donc d'une très grande dame du roman noir anglais et dont je te recommande la lecture pour l’aspect dramatique. Je m'étais acheté le livre après avoir le film, tellement ce dernier m'avait bouleversée. Depuis, je ne peux plus voir Isabelle Huppert de la même manière, je garde toujours en tête la scène finale où avec Sandrine Bonnaire, elle mitraille cette "honnête famille"... La folie et la déraison au service du Mal…

Avec "Maurice", tu joues des allusions sans jamais mentionner le mot principal, l'homosexualité (masculine), à une époque où encore interdite, elle permettait de plus de s'affranchir des barrières sociales pour certains "contrevenants". Maintenant que cet aspect de la réalité est plus ou moins accepté dans nos sociétés, il est presque gommé (du moins je suppose), mais à l'époque il était très présent, surtout dans une société aussi collet monté et rigide que chez les britanniques, influence du puritanisme aidant.

Je n'ai pas (pas encore) visionné "Chambre avec vue", mais les tendres souvenirs du livre continuent de m'accompagner depuis sa lecture, et lorsque je découvris l'Arno pour la première fois, j'en avais des trémolos dans l'âme en pensant à Forster. Dans une des éditions Penguin du roman, la couverture nous donne à voir les flots de l'Arno justement.
Ce roman avec ses champs de violettes est nettement plus romantique que "Retour à Howards End" je te l'accorde. Néanmoins une relecture de ce dernier t'amènerait peut-être à moduler légèrement ton jugement. Plus de 14 ans après sa sortie, j’ai gardé un mini-poster du film trouvé dans la presse de l’époque : sur un fond verdoyant restituant "Howards End" justement, l’on y voit en médaillon Henry Wilcox, aussi dans un fauteuil, donner sa main à Margaret Schlegel qui la caresse de sa joue : une fois encore c’est l’Homme, le Maître de la famille, qui domine...
Je comprends parfaitement ton goût pour les actrices: j'apprécie beaucoup Emma Thompson et une certaine idée de la droiture qu'elle incarne dans ses rôles, et le charme de la ténébreuse chevelure de la belle Helena Bonham-Carter qui exerce ses ravages sur les messieurs et suscite l'admiration de la gente féminine.
(L'on notera au passage la distinction dans les deux sens du terme du double nom de famille "Bonham-Carter", qui évoquera indéniablement les "upper upper classes" britanniques, avec l'association typique de deux patronymes que l'on retrouve fréquemment dans les noms de fondations par exemple). Sinon si ça t'intéresse, je crois que H.Bonham-Carter tient ses cheveux bruns d’une mère qui viendrait du Honduras (?). Enfin, des souvenirs de bruits de couloirs de public schools, restant à vérifier.)

Enfin en écho à un point de ton dernier commentaire, mon pseudo "Audrey H." est aussi un clin d'oeil à "Adèle H.". Et voilà la boucle est bouclée.

Pardonne-moi de m'étaler ainsi pour une première intervention sur ton blog, ce n'était nullement prémédité, mais je me sentais proche du sujet par maints aspects.

A très bientôt Gaëlle.

Anonyme a dit…

Non, je PEUX pas lire les commentaires jusqu'au bout : JE SUIS EN TRAIN DE LIRE "MAURICE" !
J'ai pris ce livre uniquement parce que son auteur a également écrit "retour à Howard's End", que je n'ai pas lu mais dont j'ai vu au moins cinq fois déjà le film d'Ivory.
Idem pour les "Vestiges du jour"... et j'ai commencé à regarder l'autre soir "le divorce" du même Ivory. Le peu que j'ai vu (c'était le soir de l'orage, on a changé de "chaîne" ;o) m'a bien plu, cette caricature des différences entre français et américains pour "traiter" le divorce m'a mis l'eau à la bouche... comme en plus, il y a une forte somme d'argent en jeu, on retrouve là le goût des manoeuvres de nos contemporains dès qu'il s'agit de posséder, que ce soit du personnel ou des biens... ce film n'a probablement pas la dimension des précédents au niveau de la satyre sociale, certains déplorent la caricature, mais rien que le casting me parait digne d'un visionnage et la caricature est un parti pris qui peut se révéler plus subtil que l'on veut bien le voir, parfois...

Je reverrais également avec plaisir "Gosford Park". "Les blessures assassines" me tentent moins... trop réel pour moi, je me connais, je risque les cauchemars pour deux semaines ! Hier soir j'ai vu "history of violence" de Cronenberg. Il n'y a pourtant pas tant de scène gore (il a fait sobre, si, si!), j'ai vite compris ce qui se tramait, mais la violence latente de tous les personnages a suffit à me faire passer une mauvaise nuit remplie de poursuites, de promiscuité avec des malfrats, etc... Les scènes sanguinolentes ne sont finalement pas forcément aussi violentes que ça dans leur évidente violence.
D'autant que comme tu le dis si bien Gaëlle, ce qui importe, ce n'est pas uniquement le "résultat" mais bien aussi le cheminement pour en arriver "là", d'une violence bien souvent insoutenable bien que peu démonstrative, mais on retient plus facilement un meurtre odieux que ce qui a fait que...
Quant aux livres, hop! sur la liste... j'ai bientôt fini "Maurice" et il me reste trois semaines avant les vacances...
Profite bien des tiennes.

Bizzzzzzzzzzzzzzzzzzz

PS: je suis toute d'accord avec Anitta, tes articles mériteraient un journal (et non l'inverse !)

Gaëlle a dit…

A Audrey H : Bienvenue !! Ravie te lire ton message, fort intéressant et très complémentaire de mon billet. J'ai beaucoup de chances car en général les commentaires à mes billets sont de vraies contributions, qu'elles soient érudites ou juste des échos très forts, du ressenti parfaitement exprimé... je m'incline devant vous tous et toutes ! Je dis "tous" pour le doute mais aujourd'hui je n'ai pas décelé de garçon parmi vos messages. Au sujet de "la cérémonie",je me souviens maintenant que le film avait un roman de Ruth Rendell comme source d'inspiration, c'était même la première, mais il me semble bien quand même avoir lu dans les critiques d'époque que les sœurs Papin avaient aussi plané sur le film. J'aime beaucoup Ruth Rendell moi aussi, elle fait partie des grandes dames du polar psychologique, comme Patricia Highsmith dont j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer le fascinant personnage de Ripley.
Quant à la violence enfermée dans les maisons feutrées... elle est éternelle, je suis bien d'accord avec toi. Dans toutes les femmes battues de nos jours en France, un nombre très respectable vient de milieux sociaux élevés. Et la peur des commérages, du qu'en dira-t-on, est une peur tenace... c'est vrai que pour Maurice je n'ai pas parlé d'homosexualité en disant le mot, parce que le film ne le dit jamais je crois (enfin je ne sais plus ?) et surtout parce que pour moi c'est avant tout une histoire d'amour. Quand une histoire d'amour est réussie par un écrivain, bien filmée par un cinéaste de talent, on se fiche bien de qui aime qui, on s'identifie aux amoureux, ou au moins à l'un d'eux. Enfin moi ça me fait ça. Quand j'étais petite j'ai lu "les amitiés particulières" et j'ai vécu intensément cette histoire d'amour romantique et déchirante entre deux collégiens. Je ne savais rien à l'époque de l'homosexualité, mais je me suis totalement identifiée aux protagonistes ! Idem pour les histoires de Sarah Waters, tellement bien écrites et construites que je me mets sans peine dans la peau de l'héroïne amoureuse d'une autre femme, alors que dans la vie, ça ne m'a jamais effleurée. Voilà le talent des grands artistes. Il m'émerveille.
Sinon, je te rejoins tout à fait sur Chambre avec vue, juste après avoir vu le film, j'ai lu le livre dans cette fameuse collection Penguin (un des rares livres que j'ai lu en anglais, La Trollette, avec "Jane Eyre", "The Frenchman's creek" de Daphné du Maurier et "le Messager", de L.P. Hartley, après l'avoir adoré au cinéma, tourné par Joseph Losey !), et quand je suis allée pour la première fois à Florence, il y a 5 ans, j'ai vécu absolument avec l'émotion que tu décris mon premier contact avec cette ville et avec l'Arno.
Retout à Howards end... je devrais le revoir, maintenant que j'ai le fameux coffret dont il fait partie. Je le verrais sûrement autrement aujourd'hui. Et oui, j'adore Emma Thompson et Helena Bonham Carter, même quand elle prête juste sa voix à Tim Burton dans "les Noces funèbres" (que j'ai beaucoup aimé, même si je ne suis plus une grande fan des dessins animés !), elle est parfaite. Féminine à souhait, distinguée et sensuelle à la foi... je l'aime beaucoup.
Sinon, je ne savais pas qu'Audrey H c'était aussi pour Adèle H !! Audrey Hepburn, qui est à mille lieux de ce personnage tourmenté, m'avait aveuglée... sinon je n'aurais pas raté ça ! Ces deux femmes différentes t'incarnent assez bien, poétesse...
Enfin grand merci de ton long billet : je pense que ma réponse est au moins aussi longue..toujours mon défaut !

Gaëlle a dit…
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Gaëlle a dit…

Chère Trollette : d'abord MILLE EXCUSES pour Maurice !! En général je prends grand soin de ne pas trop en dire sur les intrigues des films ou des livres mentionnés, et là j'en ai trop dit... je suis vraiment navrée, et tentée d'effacer ce message, au cas où d'autres liraient qui n'ont pas lu ou vu Maurice : je vais le faire, et je dirai juste ici que ce film est vraiment très beau et qu'il faut le voir. J'espère, la Trollette, que je n'ai pas trop gâté ta lecture...

Ensuite comme d'habitude ton commentaire est un plaisir à lire, comme les précédents d'ailleurs. Je suis honorée que vous laissiez vos avis si pertinents dans mon café. Vraiment.
Quant aux Blessures, je comprends bien que ce ne soit pas un film sur lequel vous ayiez envie de vous précipiter, mais à part la fin, je vous garantis qu'il est très supportable, même si la violence feutrée fait mal au cœur du spectateur. Mais Sylvie Testud y est magnifique de force et de fêlure, de sensibilité à fleur de peau et de violence rentrée. Cela dit, Gosford Park se laisse voir et revoir avec bonheur, alors que les "Blessures", ce n'est pas le genre de film qu'on se rediffuse souvent je pense. De même que "History of violence" que j'ai vu récemment moi aussi, et que je ne reverrai pas de sitôt, mais si j'en ai apprécié les qualités ! La violence du film m'a sauté à la gorge et ne l'a plus lâchée. Je vois bien de quoi tu parles...
En tout cas je vois que nous sommes nombreuses à aimer Ivory !
Je t'embrasse chère Trollette, merci beaucoup pour ton très joli compliment, et quand je reviendrai, j'imagine que j'aurai beaucoup à rattraper sur ton blog ! Je m'en réjouis d'avance.

Gaëlle a dit…

Consécutivement à ce que je viens d'écrire à la Trollette, j'ai supprimé deux de mes messages qui en disaient trop pour Maurice, et voici ce qui reste de ma réponse à Holly Golightly, son commentaire est donc (pour les nouveaux venus) plus haut en amont ! Désolée encore ! Je dois être très fatiguée, en général je fais attention à ce genre de choses car je déteste lire la clé de l'intrigue avant de l'avoir lue...

Gaëlle a donc répondu à Holly :…

J'ai aussi acheté le coffret MK2. Pas pu résister ! "Chambre avec vue" a été un des mes grands moments cinéma, quand j'avais douze ou treize ans. Un très beau film aussi. Plus tard, "Retour à Howards End", surtout pour les actrices parce que l'histoire m'avait moins plu (mais je ne l'ai pas revue depuis mes 16 ans...) et qu'Anthony Hopkins y était beaucoup moins attachant que dans les Vestiges... Et Maurice... j'ai été très émue et emportée par ce film. Oui, les "Vestiges du jour" est un film superbe, mais c'est comme "Adèle H" : magnifique mais ça me met en rage. On voudrait sauver ces gens qui construisent eux-mêmes leur malheur. On voudrait leur prouver qu'ils méritent mieux, que c'est trop de gâchis. Du coup, j'ai du mal à revoir ces films, alors qu'à 16 ans, ou à 20 ans, je pouvais les regarder en boucle. Je devais être tragique moi-même, et me sentir proche de ces gens ! Ouhlà. Heureusement, le temps a passé et j'ai changé...

Anonyme a dit…

ces lectures là.. ce sera pour la rentrée, j'ai déjà un bon tat de livres prêts à rentrer dans la valise.
merci pour ce superbe article une fois de plus. Tu a l'art et la manière d'aiguiser ma curiosité ! quand tu écris un nouveau post.. je sais que j'ai quelques belles heures devant moi, le temps de le lire, de suivre les commentaires, d'aller rechercher des infos sur le net sur un film dont tu parles, un auteur de livre.. bref, une mine d'or ton blog !

Gaëlle a dit…

T'es trop gentille Nziem ! Je ne sais pas si mon blog mérite tous ces compliments, je n'en suis pas sûre, mais c'est aussi vous tous et toutes, je le répète, qui en faites ce qu'il est. Sans vous il n'aurait aucun intérêt, je l'aurais même laissé dépérir dans un coin... j'ai voulu en faire un café justement pour ce résultat : qu'il devienne un vrai espace de conversations passionnées entre lecteurs, spectateurs de cinéma, dessinateurs, artistes de toute sorte... je n'osais espérer toutes ces belles rencontres. Je m'en étonne et m'en émerveille. Dans cet échange, vos mots sont aussi importants que les miens. MERCI. Et très bonnes vacances Nziem!

Anonyme a dit…

Pas d'affolage, Gaëlle ! Je lirais Maurice jusqu'au bout et je me doute bien un peu de la fin au point où je suis rendue dans ma lecture.

A propos de ton additif : j'ai le cinema de Lars van Trier en HORREUR !
J'ai détesté "breaking the waves", j'ai abhorré "dancer in the dark" durant lequel je n'attendais qu'une chose : qu'elle MEURE ENFIN L'AUTRE ! (Björk pardonne-moi, toi je t'adore !).
Du coup, j'ai fait l'impasse sur tous les autres.
Ce qui me met si mal à l'aise, ce ne sont pas les histoires en elles-mêmes, elles m'indifèrent, je n'arrive pas à entrer dedans, où plutôt, j'y suis hermétique, je ne les laisse pas rentrer, donc... ;o). Ce n'est pas non plus que ce soit plausible ou pas, réaliste ou pas, la question n'est pas là.
Elle n'est pas non plus dans le fait qu'aucun espoir ne point. j'ai adoré "le tombeau des lucioles" qui est d'une noirceur inqualifiable, les mots me manquent.
Non, ce qui m'abomine dans ce cinéma-là, c'estl'exploitation que le réalisateur en fait et l'espèce de morale judéo-chrétienne que je ressens derrière, la délectation de la souffrance que je ne peux ni ne veux ne serait-ce qu'entrevoir.
Ma réaction est épidermique, physique, même. Excessive, certainement.
Pourtant, je trouve toujours quelquechose, un petit rien à garder, dans chaque "oeuvre" que je vois.
Mais là, non...
Bon, c'est juste une opinion, la mienne. Mais pour le coup, elle vient des tripes ;o)

Encore de très bonnes vacances au bord de la Manche.
Je vais essayer de poster régulièrement sur mon blog avant la "Grande Coupure" de mes congés où je barboterais pour ma part dans la Mediterrannée.

Anonyme a dit…

Tu viens de citer là sûrement mes trois films préférés en un seul post !!! ha moi : Lars Van Trier, je suis admirative devant ce talantueux réalisateur !!! Je me demande, à chaque film, comment il a pu aussi bien décrire "la vie" telle que je la ressens. J'ai toujours l'impression qu'il a réussi, par je ne sais magie, à venir chercher ce que je garde au plus profond de moi sans jamais oser en parler et le retranscrire à l'écran aussi justement, aussi fidèlement. Dogville est un film qui m'a profondément boulversé, oui ! celui ci est vraiment le plus beau film de tous les films que j'ai vu.
Quant à Magdaleine sisters, moi aussi jai versé beaucoup de larmes, c'est triste, certes, mais ça existe ! et merci au cinéma, aux livres, aux artistes, de nous livrer ces vérités qu'on ne doit pas occulter.

Gaëlle a dit…

A La Trollette : je suis totalement d'accord avec toi pour ce qui est de Breaking the Waves (qui m'a vraiment traumatisée !) et de "Dancer in the Dark", je trouvais un vrai sadisme dans cette manière d'exalter la souffrance des héroïnes, de s'y complaire.. du judéo-chrétien très daté, remonté tout droit de l'époque où on poussait les jeunes filles à se mortifier constamment et à porter des cilices ! Je ne sais comment les actrices ont pu endurer ça, du reste avec Björk (que j'aime beaucoup aussi) ça ne s'est pas bien passé. Mais je t'assure, ma Trollette, que Dogville est différent. L'héroïne est beaucoup plus complexe, plus combattive que les autres. Elle ne fait que se prêter, un temps, au jeu des autres qui la traitent mal, elle en révèle les noirceurs cachées, innocemment certes... mais ensuite... bref. Ce film n'a pas le côté insupportable des autres. Je te le promets. Je l'ai trouvé au contraire très intelligent et bien fichu. Lars Von Trier est certes toujours un grand manipulateur, mais cette fois sa manipulation sert un but plus intéressant que le sacrifice expiatoire d'une brebis, féminine si possible... Cela dit tout cela est très subjectif, et je suis bien placée pour comprendre qu'on ait un rejet du cinéma de Lars Von Trier !

A Nziem : ravie d'avoir pu parler de films que tu aimes. Les larmes que j'ai versées sur les Magdalene Sisters n'étaient pas les mêmes que celles de Breaking the Waves : c'étaient des larmes de compassion pour ces filles, ces survivantes qui avaient tant subi, ce sadisme des nonnes, tout ça en plus avec le contresens total sur Marie-Madeleine, qui pour moi est la femme la plus complète de l'Evangile. Et aimée de Jesus, c'est certain, profondément. "Elle sait aimer", dit le Christ d'elle. Dans le film, on reproche à de pauvres gamines d'avoir aimé, en leur donnant pour modèle Marie-Madeleine la pêcheresse repentie... Le genre de choses qui m'enrage. Enfin. C'est vrai, c'est triste mais utile de savoir que longtemps après Oliver Twist, ce genre de choses avaient encore court dans les "orphelinats" ou les "maisons de charité" religieuses... Quant à Dogville... je l'ai adoré, je l'ai d'abord vu seule et un peu sur mes gardes (à cause du souvenir de Breaking the Waves dont le côté chemin de croix inutile m'avait mise en pièces), puis j'y ai emmené mon mari qui a beaucoup aimé aussi, puis d'autres amis... tous ont aimé. Mais c'est un cinéma particulier. Je trouve que Lars Von Trier évolue bien. Et qu'il parle très bien de l'enchaînement de la haine, de "l'arbre des causes", comme on dit... comment de petits gestes, de petites humiliations répétées, entraînent un jour une explosion de haine que plus rien n'arrive à éteindre. Grosses bises à La Trollette et à Nziem, bonnes vacances à vous deux !

Anonyme a dit…

Pfiou, tu as bien mérité tes vacances! Je prends bonne note de toutes ces références, puisque je n'ai rien vu ni lu de tout cela (sauf Magdalene Sisters, inoubliable).

Anonyme a dit…

SUPER !
Je passais sur ton blog, et ce dernier article, que j'ai pas encore lu en entier, est super.

En plus ya un truc super important : souvent, la valetaille "méprisée" se vengeait impunément (coups, abus divers z'et variés) sur les enfants petits et faibles (qui donc ne pouvaient rien dire ni protester) des fameux bourgeois. D'où moultes déviances ultérieures de ces petits abusés, et renchérissement du phénomène génération après génération...

pfffff...

Bisouuuuuuuuus !

Anonyme a dit…

Et une petite autre chose, car j'ai lu, après avoir lu les commentaires, le passage sur le film "les blessures assassines" car j'adore Sylvie Testud.
N'y a t-il pas de quoi être paranoïaque quand on est la fille d'une mère qui prétend vous aimer (ou du moins ne pas vous détester) mais dont le seul but inavoué est de vous détruire ?

J'ai dans ma famille une cousine au second degré psychotique paranoïaque. Sa soeur a eu des problèmes de santé graves récurrents, genre tumeur au cerveau, après avoir placé ses propres enfants dans des institutions d'éducation terribles : école militaire pour le fils de 5 ans, école catho à mort pour la fille. Leur mère est morte il y a 3 ou 4 ans. A l'époque, mes parents m'ont appelé en me disant qu'il serait bien que je manifeste quelque chose. Or je n'ai rien fait, parce que la seule chose "honnête" que j'aurais pu dire, c'est "enfin cette vieille sal*** est crevée, vous allez pouvoir enfin VIVRE !"

Comment dire cela à des enfants de salauds qui ne peuvent pas entendre combien leurs parents ont reporté sur eux toute leur haine ?
Et pourtant, ce n'est que la vérité. Destructrice tant qu'on veut pas la voir en face.
Et après on est taxé de paranoïa...

ou que ça m'énerve. C'est pour ça que j'aime Steiner et son "grain de vérité" dans tout ce qu'on ressent à propos de ce que les autres nous font...

Anonyme a dit…

Je réitère ma question que le blog a apparemment avalé : As-tu déjà pensé à proposer des articles (en anglais) au New Yorker ? Tes articles en ont sans aucun doute la teneur littéraire et le nombre de mots.

Anonyme a dit…

et moi j'ai avalé le "e" d'avalée - c'est de bonne guerre !

Anonyme a dit…

Coucou ! Juste pour te dire que, maintenant que j'ai rattrapé mon retard de lecture chez Holly, je vais m'atteler à ton blog... Bigre ! Donc attends-toi à avoir des commentaires tous les jours à ton retour de vacances, vacances qui, je l'espère, se sont bien passées.

Gaëlle a dit…

Merci Lisa ! Je reviens juste et je trouve ton petit message, c'est sympathique et je sens que ça va m'aider à reprendre le collier ! J'espère que tu as pris quelques vacances, toi aussi ? Bises et à très bientôt !

A Freefounette : contente de te revoir ici Free ! Mais dis donc... t'en as encore beaucoup des histoires comme ça, dans ta famille ?... pauvres mômes... je crois que s'il est une chose difficile à admettre pour un enfant victime, c'est que ses parents aient voulu le détruire. C'est insoutenable. C'est une vérité qu'on ne peut pas regarder dans le miroir. Tous les enfants veulent croire qu'on les aime, même si on les piétine. Le seul remède est l'amour, le vrai, et il faut beaucoup de temps et de patience pour cicatriser ces plaies. parfois la mort du parent tourmenteur est une libération, mais parfois non... car le tourment survit à celui qui l'a créé. En tout cas, merci de tes messages toujours très intéressants, profonds, et pleins d'émotion et d'une colère que je comprends. Grosses bises et à bientôt.


A Théo : Me revoilà, et je trouve ta question (en effet mon blog avait dû l'avaler : mais quel malapris d'avaler les compliments !! Il faudra que je lui en touche deux mots.) qui évidemment est une douceur flatteuse ô combien... mais tu me surestimes grandement ! Je ne suis pas le moins du monde capable de traduire mes billets dans la langue de Shakespeare, et encore moins d'avoir l'audace de les envoyer au New Yorker ! Je me sens rapetisser rien qu'à cette pensée ! Mais je te remercie beaucoup d'y avoir songé, et ce compliment immérité me touche beaucoup. A très bientôt pour un message.. ou de la lecture ?

Gaëlle a dit…

Coucou Miss poivert ! Je rentre à peine. J'ai encore du sable breton dans mes chaussures et pas mal de paresse dans le cerveau. La mer me manque déjà, mais vous me manquiez tous aussi quand j'étais là-bas...il me faudrait une connexion internet devant la mer, mais serait-ce vraiment motivant ?... Je n'en suis pas sûre. Bref. j'ai moi aussi pas mal de billets à rattraper chez Holly, et chez toi, et chez quelques autres... et je vais tâcher d'écrire un nouveau billet sous peu ! Quand je vois la prolixité effarante d'Holly, que ne tempère aucune baisse de qualité, je me trouve petite joueuse. Bref. Bises à toi miss poivert, et j'attends tes commentaires avec plaisir !

Anitta a dit…

Petit coucou en passant (vite)... Bon retour aux afaires courantes, Gaëlle, et à bientôt !

Gaëlle a dit…

Coucou Anitta ! A très bientôt ! Je vais me remettre au boulot, j'ai au moins deux billets en tête...

Anitta a dit…

J'attends ! Avec la patience d'une lionne cherchant à nourrir ses petits... Au fait, avec Telle, enfin plutôt : sur une excellente idée de Telle, nous avons toutes les deux parlé de toi à Samantdi, à l'occasion de cette note... Un rapprochement qui, je l'avoue, m'a sauté aux yeux après coup !

Gaëlle a dit…

J'arrive, Anitta ! Je mijote mon billet, il arrive ! Je viens de lire la note de Samantdi que je ne connaissais pas... magistrale ! Je ne connaissais pas cette personne, pas plus que Telle, mais quelle bonne idée d'avoir fait ce rapprochement! Je vais aller dire moi-même un petit mot à Samantdi, d'autant que j'avais entendu parler du livre de Naouri et que trouve son analyse ô combien intéressante. Et merci à toutes les deux !

Anonyme a dit…

Eh bien voilà que j'arrive au moment où tu parles de moi ! Grâce à Anitta et Telle, que je remercie vivement, j'ai découvert ton blog... mais sans pouvoir le lire! J'utilise en effet le navigateur Safari (Mac), et toutes les lettres accentuées étaient remplacées par des signes étranges. J'ai donc repris Firefox pour pouvoir lire...

Je suis très heureuse de faire ta connaissance :-) Il faut dire que, outre le sujet qui m'intéresse, je suis "fan" de Margaret Atwood, j'ai beaucoup apprécié "Les Blessures assassines" et j'ai acheté en DVD "Gosford Park" en prévision d'une soirée "home cinema", je crois que je vais me hâter de le regarder... et en attendant, je vais parcourir ton blog.

A bientôt !

samantdi

Gaëlle a dit…

Bonsoir et bienvenue Samantdi ! Marrant cette coïncidence ! Je suis enchantée d'avoir pu découvrir ton blog (enfin, commencer) grâce à Telle et à Anitta, et j'irai l'explorer davantage sous peu. J'adore ces rencontres, ces affinités. C'est magique. A très bientôt !

Gaëlle a dit…

Au fait Samantdi, désolée d'avoir dû te forcer à acquérir Firefox ! En fait au début j'opérais sur Safari, mais je ne pouvais ni mettre un passage en gras, ni insérer un lien, ou utiliser l'italique : restreint !! Du coup je suis passée sur Firefox. Ce qui ne veut pas dire que je suis une pro de l'informatique. Loin de là. Je m'applique mais il faudra quelques temps avant que je développe quelques aptitudes sérieuses... bises.

Gaëlle a dit…

Bienvenue Telle, et merci encore de ton initiative qui me fait rencontrer deux personnes d'un coup ! Et je suis bien désolée pour vos porte-monnaie à tous, mais pourquoi diable devrais-je être la seule à me ruiner ?... D'ailleurs la tentation multiple oblige à faire travailler son imagination pour obtenir la pomme rouge qui fait saliver, là haut sur l'arbre : je suis devenue la pro du comment acheter moins cher, comparer les prix, emprunter à des amis bienveillants ou être moi-même celle qui fournit le gîte et le couvert culturels. Une chose est sûre : tout vient à point à qui sait attendre. Les livres se changent en livres de poches, les DVDs sont soldés... le problème, c'est d'attendre, et je ne suis pas la reine de la patience. J'envie parfois les journalistes qu'on abreuve à un rythme hebdomadaire de monceaux de livres et de disques ! Enfin... à très bientôt Telle, je n'ai eu le temps que de jeter un œil rapide chez toi, mais je vais revenir régulièrement, dorénavant. Histoire de faire mieux ta connaissance. Je m'en réjouis.

Gaëlle a dit…

Merci Telle pour tes conseils... les miens : acheter bradé sur les sites internet discount (désolée de ne pas citer de noms mais jusqu'ici je me suis promis de ne pas faire de pubs commerciales sur ce blog...), ou dans certaines librairies, où on trouve des occasions comme neuves (très intéressant pour les DVDS, et même pour les livres qui viennent de sortir : certaines librairies ont pour coutûme de remettre en rayon les livres donnés aux vendeurs, à prix cassés : ils sont en général en excellent état et moitié prix ! J'achète très rarement un livre à sa sortie au plein tarif, sinon je serais ruinée !! Soit j'attends le poche, soit la bonne occasion, soit je me fais un cadeau, comme le dernier Fred Vargas, car les couvertures de Viviane Hamy sont des merveilles...). Voilà, ça répond un peu à ta question ?
Bises aussi, Telle !

Anonyme a dit…

Ta note est tout bonnement passionnante... J'étais au travail hier quand je l'aie lue, derrière la banque d'accueil. Pour tout dire, pendant que je lisais, je n'ai pas accueilli grand monde, et même si un quelconque usager avait pointé le bout de son nez, je ne suis pas sûre que je l'aurais remarqué, tellement ma lecture était prenante. Comme d'habitude, je suis allée voir mes collègues en gesticulant, et en leur disant que je venais de lire un truc génial !
Des livres dont tu parles, je n'ai lu que Rebecca de Daphné du Maurier. Ce livre-là, je l'ai lu et relu, allez, bien 10 fois, adolescente. Il m'a laissé une impression profonde (et m'a incitée à lire tous les livres de Daphné du Maurier que j'ai pu trouver). Je l'avais déniché dans la bibliothèque de ma mère, et le lui ai dérobé. Il trône maintenant derrière moi, là, dans ma bibliothèque.
Sinon, je n'ai pas non plus vu tous ces films. Misère, j'ai du boulot !
Merci pour cette très belle note, qui m'a beaucoup appris.

Gaëlle a dit…

Quand j'aurai un coup de blues, dorénavant, je saurai qu'il suffit que j'aille relire un de tes messages, Miss Poivert, pour que mon moral remonte en flèche, dopé par tant de gentillesse ! Moi aussi J'ADORE Daphné du Maurier et en particulier Rébecca. Mais aussi... ah, nostalgie, quand tu nous tiens... "Le général du roi", "La crique du français", "Le bouc émissaire", "L'auberge de la Jamaïque"... je viens même d'en dégotter un que je n'avais pas lu : "Le monde infernal de Branwell Brontë", aux éditions Phœbus ! Merci mille fois Miss Poivert d'être une supportrice (ça se dit, ça ?) si enthousiaste. Et talentueuse, avis à la population, Miss Poivert a bien des talents, et ce, depuis son âge le plus tendre...allez voir sur son site, vous m'en direz des nouvelles.

Anonyme a dit…

De Daphné du Maurier, j'ai aussi beaucoup aimé Ma cousine Rachel (que j'avais également piqué à ma mère, oups), et Les oiseaux. Après, je ne sais plus, il y a eu des périodes où je lisais tant que je ne sais plus... Le bouc émissaire, je suis sûre de l'avoir emprunté, mais plus sûre du tout de l'avoir lu (j'ai toujours eu les yeux plus gros que le ventre !).
Et merci pour tes compliments, qui me mettent sérieusement dans l'embarras.

Gaëlle a dit…
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Gaëlle a dit…

Gaëlle a dit…

Oui, Ma cousine Rachel, moi aussi ! Et moi aussi, j'ai les yeux plus gros que le ventre, quand il s'agit de bouquins... et pas que de bouquins, d'ailleurs, mais c'est une autre histoire.
Mes compliments te mettent sérieusement dans l'embarras ? Pourquoi ?... Avoir du talent, ce n'est pas un embarras quand même ? Non parce que si tu dis ça à des tas de gens qui rêveraient de savoir peindre ou dessiner, ou jouer du piano, etc etc, tu sais, ils vont rester perplexes ! Pour moi le talent, quelle que soit sa taille, est un cadeau immérité (tous les vrais cadeaux le sont ) mais dont il faut se réjouir chaque jour, si l'on peut, et il est permis d'en prendre soin comme d'une petite plante sensible réclamant beaucoup d'attention et de travail... Bises, Miss Poivert !

Anonyme a dit…

Je suis entièrement d'accord avec toi, mais j'ai tellement négligé mon petit talent personnel, que j'ai vraiment honte quand on me dit que je pourrais en avoir. Mais il est vrai aussi qu'avec mon blog, j'essaie de dégripper mon petit mécanisme interne, et que je suis pour l'instant plutôt contente des progrès accomplis depuis plusieurs mois, que ce soit au niveau de l'écriture que ou du dessin. Donc, d'accord, j'accepte tes compliments. Merci...
Bise aussi, mdame Gaëlle !

Anonyme a dit…

"Les blessures assassines", ça c'est un film traumatisant...le final...je...j'en ai eu la gorge serré en sortant de la salle. Terrible. Il n'y a rien de plus horrible que la violence crue, filmée simplement, sans styliser ni rien...un coup de vase dans la tronche et crac. L'horreur pure, pas besoin d'effets de manche disproportionnés...

Gaëlle a dit…

Thom, oui, comme tu dis ! Le final, on a beau le voir venir un peu, on le prend en pleine tronche, comme le vase...
L'horreur pure oui. Qui nous laisse avec un max d'interrogations, dont aucune ne peut suffire, sur le "comment en est-on arrivé là ?" Mais dis-moi, tu l'as aimé, ce film ?