Ma petite quête touche à sa fin, et je peux maintenant vous confier son point de départ : j'en reparlerai dans le prochain billet, mais il y a six semaines de ça, en vagabondant dans une librairie (mon second loisir préféré, avec regarder et écouter vivre les gens en buvant un café matinal), mon œil fut attiré par un livre dont les deux volumes sortaient en même temps, exception appréciable pour une lectrice aux yeux plus gros que le ventre, et que cette impatience a parfois détournée de la bande dessinée, où il faut attendre des lustres entre deux épisodes... Ce livre, c'était l'Historienne et Dracula d' Elisabeth Kostova, et si j'ai bien fait mon boulot, à la fin du prochain post vous partirez tous en vacances avec les deux volumes dans vos bagages, sans protester que ça rajoute du poids. Elisabeth Kostova a travaillé dix ans sur Dracula pour écrire ces deux tomes, et moi qui viens d'y passer un mois entier pour à peine effleurer le sujet, je peux vous dire : son livre mérite que vous emportiez les deux volumes en plus dans vos valises. C'est un roman qui vous séduira d'emblée, qui vous captivera tout au long, et surtout qui provoquera chez vous deux envies irrépressibles : d'abord, visiter tous les lieux dont elle parle et qui émaillent la quête très particulière de ses héros, de la bibliothèque d'Oxford à l'abbaye de Saint Michel de Cuxa, de Collioure à Raguse, de Venise à Istanbul et de Budapest à l'île monastère de Snagov. Ensuite, tout le long, comme moi, vous vous demanderez ce qui est vrai, ce qui est faux, tant son intrigue est trempée dans l'Histoire, du XVème siècle à nos jours. La modernité de son roman, c'est d'avoir, ainsi que l'avait déjà ébauché Coppola, raccroché Dracula à son mythe en remontant à la source, mais pas avec des à peu-près, pas en en faisant un comte transylvain comme Bram Stoker. Non, en trimant dans les bibliothèques pour, avec la méticulosité d' une archéologue, dépoussiérer la vérité horrifiante de Vlad Tepes, dit Drakula.
D'ores et déjà, je préviens les chochottes que nous sommes tous à des degrés divers : vous pouvez y aller, même si vous avez peur de vous relever la nuit quand retentit un bruit inexpliqué. Vous pouvez le lire, vous ne tremblerez que d'excitation. Ce n'est pas horrifique, mais inquiétant et palpitant.
Enfin, moi, cela m'a poussée à chercher, comme les personnages du livre, à démêler le vrai du faux dans cette histoire d'Empaleur de Turcs et de vampire. Je vous préviens, si Elisabeth Kostova a travaillé dix ans son sujet, c'est qu'il y a de la matière. Je suis une petite joueuse, et autant vous prévenir que je ne maîtrise pas parfaitement l'histoire politique fort complexe de l'Europe de l'Est et des Balkans au XVème siècle, malgré mes efforts, car je me suis efforcée de m'y retrouver dans ces guerres permanentes entre Saxons, Valaques, Moldaves, Hongrois, Ottomans... et j'en passe.

Mais il est temps : remontons le cours des siècles, et transportons-nous du côté des Carpates, au milieu du XVème siècle.

A cette époque, la Roumanie était constituée de trois principautés bien distinctes, gouvernées par des lignées royales rivales, souvent en guerre les unes contres les autres : la Transylvanie, la Moldavie et la Valachie.

Vlad Tepes était un "voïevode" de Valachie, mot qu'on peut traduire par "prince commandant". Il descendait d'une lignée royale, la lignée des Besarab. Sa mère était sans doute d'origine transylvaine, mais son père, Vlad Dracul (le Diable en roumain, mais aussi le Dragon) était déjà un voïevode de Valachie. La Valachie était un petit état d'environ 400 000 habitants, autrefois peuplé par les Daces, puis envahi par les Romains, puis par les Huns, qui luttait ferme pour son indépendance mais qui hélas ne faisait pas le poids, coincée qu'elle était entre de puissants voisins, au premier rang desquels la Hongrie et la Moldavie, et de l'autre côté l'Empire Ottoman, qui avait déjà conquis l'Empire byzantin, la Bulgarie et la Serbie, et lorgnait à présent vers la Transylvanie, la Moldavie, la Valachie et la Hongrie, pays riches en ressources naturelles et en villes commerçantes prospères. Du temps de Vlad Dracul le père, Les Turcs avaient à leur tête le sultan Mourad II, un homme que l'on a dépeint ainsi après sa mort, le 13 février 1451 : "homme doux qui avait la chance de son côté. Il ne fit la guerre que pour se défendre ; jamais il n'attaqua injustement." On dit aussi de lui : "Mais sa colère ne fut jamais de longue durée, car le barbare ne poursuivit pas ses victimes, car il ne voulait la destruction totale d'aucun peuple."
Ces mots peuvent paraître ironiques mais pour l'époque ils montrent un homme plutôt civilisé...

Son fils, Mehmed II, était décidé à rompre avec la tradition de relative clémence de son père, et il le montra d'entrée de jeu par un signe fort envoyé au monde chrétien : la prise de Constantinople, en 1453. Fini de rire, semblait dire le Croissant à la Chrétienté, et à partir de là, les "traités de paix" des Ottomans ne seraient que des somnifères destinés à endormir l'ennemi le temps nécessaire à le réduire à merci. Mais sur sa route qui avait tout du raz de marée et que rien ne paraissait pouvoir arrêter, l'Empire Ottoman croisa quelques têtes brûlées, dont Jean Hunyadi, roi de Hongrie, et Dracula, le fils. Qui, lui aussi, était bien décidé à inaugurer une ère nouvelle...
Mais avant cela, il faut resituer un peu le contexte familial de notre ami Dracula. Son père était en paix avec le Grand Turc, ce qui incluait plusieurs clauses chères payées : il devait permettre l'accès libre par son pays à la Transylvanie, et même servir de guide pour des raids ottomans éclairs, deux à trois fois l'an, pour aller piller la Transylvanie et enlever ici ou là des jeunes gens qui seraient vendus comme esclaves ou enrôlés dès l'enfance dans le corps des Janissaires : la garde rapprochée du sultan, faite d'enfants volés, rééduqués à la dure, qui n'avaient plus de famille que l'armée turque, et qu'on dressait à devenir des ennemis de leurs parents et de leur pays d'origine. Ils étaient réputés sans peur et sans conscience. Tout un programme. Autre clause du traité de paix : le voïevode valaque devait livrer chaque année un tribut exorbitant en ducats au Grand Turc, et lui envoyer des otages de prix, parmi lesquels son fils aîné ! Or, Vlad Dracul avait deux fils d'une première épouse, Mircéa et Vlad, et un autre fils d'une seconde épouse. Ne voulant sacrifier son aîné, il expédia au sultan Mourad ses deux cadets, Vlad II (qui avait 13 ans) et Radu, futur "mignon" du sultan Mehmed sous le nom de Radu Le Bel, qui en avait cinq. Tous deux furent "éduqués" d'abord dans une prison, puis à la cour du Sultan, et c'est probablement là-bas que Vlad Tepes apprit non seulement le turc, qu'il parlait couramment, mais à manier le pal. Car c'était un supplice grandement prisé de l'autre côté du Danube. Vous croyez connaître le pal, cette tige de bois sur laquelle on embrochait un condamné avant de la planter dans la terre pendant qu'il agonisait, entraîné par le poids de son corps, jusqu'à ce que la pointe ressorte par la poitrine ou l'aisselle ? Peut-être ignorez-vous que par un raffinement de cruauté, cette tige de bois qu'on enfonce "par le fondement" n'était pas pointue, comme on imagine souvent, mais un peu arrondie. Pourquoi, me direz-vous ?
Parce que, comme nous l'explique le Grand Dictionnaire du XIXème siècle," ... s'il en était autrement, la pointe, transperçant tous les organes qui sont sur son passage, déterminerait très vite la mort. Mais la tige étant arrondie, au lieu de transpercer les organes, elle les refoule, les déplace et ne pénètre que dans les tissus lâches. Ainsi, les grands appareils vitaux n'étant que peu lésés, la vie peut s'entretenir encore pendant quelque temps, malgré les souffrances épouvantables que cause la compression des nerfs."
Les victimes pouvaient survivre jusqu'à trois jours...
Dracula avait commencé son éducation en pays valaque, terre de la forêt et des chevaux : la force des Valaques était la cavalerie légère, leurs archers vivaient à cheval, leurs chevaux, bien que petits et rammassés, étaient réputés dans le monde entier pour leur endurance, leur aptitude à vivre des semaines au rythme du cavalier en guerre, presque sans s'alimenter si besoin était. Chez les Turcs, il découvrit l'art d'être obéi parfaitement, qui n'existait pas dans son pays natal, où tous les fils légitimes ou illégitimes d'une lignée royale étaient des prétendants légitimes au trône, et où monter sur le trône était le plus sûr moyen d'abréger ses jours : les voïevodes régnaient en moyenne un à trois ans avant de se faire assassiner par un boyard rival, c'est à dire un noble roumain. Les fils aînés de lignée royale avaient une marque au fer rouge tatouée sur le corps, souvent l'emblème de leur maison. Vlad le père appartenait à l'Ordre du Dragon, société secrète que vous découvrirez davantage si vous lisez le roman d'Elisabeth Kostova... Bref. A la cour du sultan, tout le monde s'agenouillait ou mourait sur le champ. Dracula y prit le goût du pouvoir absolu. Mais l'appliquer dans son pays rétif et turbulent était une autre affaire... Pendant qu'il était en Turquie, son père et son frère furent d'ailleurs assassinés par leurs pairs, et Mircéa, le frère aîné, eut droit à un traitement spécial : il fut enterré vif. Vlad Tepes avait donc, avant même d'être rentré chez lui, des comptes à régler. Il commença par prendre le pouvoir en Valachie à 19 ans, par un coup d'Etat, pendant que Vladislav, le voïevode en place, était occupé à guerroyer contre les Turcs sur les bords du Danube avec Jean Hunyadi. Qui va à la chasse perd sa place... mais en rentrant Vladislav dégagea le voleur de trône en deux temps trois mouvements, et celui-ci ne dut son salut qu'à une fuite rapide en Transylvanie, après un règne qui n'avait pas duré deux mois ! Plus tard il remonta sur le trône valaque avec l'aide du souverain hongrois. Ce fut, entre 1456 et 1462 son deuxième et plus long règne, et aussi le plus sanglant. Il s'y illustra à la fois par une bravoure guerrière qui force le respect, repoussant 30 000 Ottomans avec 5000 soldats jusqu'au-delà du Danube, provoquant l' ire de Mehmed II au point de focaliser toute son attention, déclenchant une vraie guerre dont l'objectif était "détruire le Valaque"... mais parallèlement à ce courage de guérilléro assorti de ruse et de génie tactique, il commença à forger sa "légende noire" en empalant ses "ennemis" à tour de bras, noyant son règne dans le sang, dans l'espoir de faire taire les boyards et de décourager tous les rivaux à venir. La raison d'Etat lui servit d'excuse, comme c'est toujours le cas, pour assouvir ses pulsions les plus dévastatrices et les plus sadiques. L'homme qu'aime si ardemment Mina Murray dans le film de Coppola, dans la vraie vie, n'hésitait pas à faire éventrer une concubine qui se prétendait enceinte de lui, pour vérifier si c'était vrai. Avec un sens de l'humour aussi noir qu'égalitaire, il empalait les puissants plus hauts que les manants, les hommes d'Eglise sur des pals faits de bois précieux... mais aussi les enfants au sein de leurs mères. Une forêt de pals sous laquelle, dit-on, il prenait ses repas, sur une table arrachée à un maître-autel. Comment justifiait-il d'empaler les nouveaux-nés sur le sein maternel ? Très simplement : ils étaient des "ennemis en devenir". C'est exactement l'argument que reprendra Richard III dans la pièce de Shakespeare, quand il réclame la tête de deux enfants, fils de son frère mort, enfermés dans la Tour de Londres. Ces enfants sonts "deux profonds ennemis, deux adversaires de mon repos, qui troublent mon doux sommeil". Ces enfants vont grandir et un jour ils l'enverront pourrir en prison, ou l'égorgeront pour lui voler le trône.

Mais tout cela bien sûr n'est que la justification du sadisme, de l'appétit de pouvoir, de l'ivresse de sa propre impunité. Les bourreaux ne s'y tromperont pas qui décriront ainsi le crime :
"Ainsi, ainsi, les innocents s'enlaçaient l'un l'autre dans leurs bras d'albâtre ; leurs lèvres étaient quatre roses rouges sur la même tige, se baisant toutes dans l'épanouissement de leur beauté. Un livre de prières était posé sur leur oreiller : à cette vue, dit Forrest, j'ai presque changé d'idée. [...] Nous avons étouffé le chef-d'œuvre le plus charmant que, depuis la création, ait jamais formé la nature."
N'est-ce pas là l'aveu du blasphème ? Assassiner la beauté de la création au nez du créateur ?
On retrouve chez Dracula la même impunité, le même goût du blasphème : il fait égorger plus de cinquante boyards au cours d'un banquet du dimanche de Pâques. (500 selon la légende, 50 selon les historiens...) Il fait lire l'office des morts devant un condamné, juste devant la tombe qu'il a fait creuser à son intention avant de le faire décapiter. Ce n'est pas par respect pour la religion Orthodoxe, on s'en doute. Non, il rit à la face de ce Dieu qui le laisse massacrer la terre entière, les bébés vagissants sur leurs mères, les innocents au milieu des "coupables", et cela, longtemps, avec la bénédiction des puissants, et même du pape Pie II qui voit en lui un courageux défenseur de la Chrétienté... Son rire est un rire sardonique, qui signifie convulsif, proche de la grimace. D'où le vampire, bien sûr. Un homme qui de son vivant n'avait pas peur de Dieu, qui appelait sur lui sa foudre, qui riait à la figure du Christ en se baignant dans le sang de ses victimes, ces agneaux sacrifiés à son bon vouloir, à sa toute puissance. D'un tel homme, on ne peut croire qu'il est mort et bien mort, que la pourriture l'a gagné comme elle dissout les gens du commun. Un tel homme hante encore les esprits des générations et des générations après son temps. Jusqu'à devenir un mythe. Il y eut après la mort d'Hitler des rumeurs incrédules, peut-être n'était-il pas mort dans l'effondrement de son bunker. Peut-être Staline se relevait-il la nuit de son tombeau pour finir le travail. Il y a toujours du travail à finir. Nul boucher de l'histoire n'est assez perfectionniste pour survivre à son règne, il reste toujours un survivant, un témoin, un assassin pour anéantir le grand assassin, un tribunal pour rattraper l'impuni. Mais plus ils sont puissants, plus ils sont cruels, plus longtemps ils tuent impunément.



En voici quelques extraits, où Gilles, par la voix superbe d' Isabelle Sorente, nous conte sa guerre de cent ans, là où tout a commencé, là où le chant des anges s'est mêlé à des accents proprement infernaux :
" Au grand galop jusqu'au champ de bataille, sabrant le paysage, mon ombre se transforme. Poussant des cris, des hurlements bientôt, je ne suis plus un homme. Je me jette en avant, me déchaîne, pire qu'un loup. Une bête. Quand mon épée plonge dans un corps plein de vie, la bête le ressent, ses nerfs enlacent la lame. Le sang coule, la bête s'exaspère. Alors hurlant, aboyant, saccageant, elle est toute une meute.
Je l'ai su dès le premier combat, il ne s'agissait pas seulement de ce savoir ancien que les guerriers partagent avec leurs prédateurs, en imitant parfois l'apparence pour forcer les secrets terrifiants de la rage. Il ne s'agissait pas seulement de bravoure. Mon courage avait beau soulever mes hommes, nous faire prendre des places inexpugnables, les soldats avaient beau m'acclamer et me suivre. je l'ai su dès le premier assaut.
Au milieu du sang et des cris, je bandais.
[...] Qui reconnaît le sang au milieu du sang, qui entendrait les cris dessous les cris ? J'éventre, je jouis, et puis j'éventre encore.
Je suis un criminel.
Dès le premier assaut, j'ai su.
Plus tard, à mon procès, j'ai confessé ces crimes-là comme les autres, ceux de ma gloire comme ceux de ma perte. Mes juges ne voulaient pas les entendre. Ils ne voulurent pas les juger, ces premiers crimes de jouissance dissimulés par la guerre. Ces crimes qui ont remporté la victoire.
La campagne prend fin, acclamez le héros... Mes faits d'armes me valent les honneurs du roi, de la Cour. Jeanne d'Arc me veut à ses côtés, pour ma passion du sang que tous appellent courage. Nous irons libérer la ville d'Orléans.
L'héroïne est bientôt brûlée.
Moi le criminel, je deviens maréchal.
Comment savoir ce que Dieu aime ?
[...] Je suis un criminel, le maréchal de France. La guerre s'achève et me laisse en cette place, la conscience éventrée. J'ai ouvert les corps. Je me suis enivré d'entrailles. J'ai vu les viscères et l'intérieur de l'homme.
L'intérieur, l'intérieur inconnu.
[...]
Maintenant, la guerre prend fin.
Jouir.
Mais de quoi ?"

Dracula une fois mort est devenu un mythe. Le mythe d'une âme errante, condamnée à se nourrir de sang, encore et encore. A ne jamais voir le jour sous peine d'y être consumé. A se cacher toute l'éternité, à être traqué comme de son vivant, quand il menait seul contre tous sa dernière guérilla dans les sombres forêts des Carpates.
Mais ceux qui lâchent la bête en l'hommme, ceux qui donnent le signal de la tuerie, ceux qui bénissent les génocides, ceux qui ferment les yeux et se lavent les mains, tant qu'on fait du chiffre d'affaires, les voyez-vous hantés par leur conscience ? Les voyez-vous sur le banc des accusés de l'Histoire? Ont-ils le sommeil troublé ? Il ne semble pas. Ils inventent même des dogmes d'infaillibilité papale rétroactifs, ils font des martyrs de pauvres diables dont ils ont souillé les mains et la conscience à jamais. Tout va bien pour eux. Aussi, quelque soit l'aversion instinctive qu'inspirent les Vlad Tepes et les Gilles de Rais de l'histoire, peut-être pouvons-nous les rejoindre et les prendre en pitié, là, dans leur ultime solitude, ce moment d'épouvante devant ce qu'ils sont devenus, prisonniers de leurs bas-fonds, ce lieu vide où leur hurlement se répercute sans fin, rencontrant des murs épais qui masquent le Néant.

La prochaine fois, nous passerons à des choses plus légères, le livre d'Elisabeth Kostova vous épargnera cette plongée à l'intérieur du monstre... Mais pour ce soir, laissons le mot de la fin à Isabelle Sorente :
"Mieux vaut rencontrer celui qui admet voir en lui quelques tigres et laisse dans son sang s'ouvrir des roses monstres, les assouvit dans les étendues illimitées de l'esprit discontinu ; puis quitte cette sanglante influence et poursuit une mue d'arc-en-ciel déraisonnable.
Mieux vaut ne pas croiser la route de celui qui dit "le rouge m'est étranger", et dont les mains à son insu, déjà, se changent en armes. "Le rouge m'est étranger", maintient-il, et alors incapable de nourrir le besoin de couleurs, il ne peut se glisser jusqu'à la mue suivante ; bientôt il se confond entier à l'image qu'il refuse.
Il n'est plus qu'une lame qui plonge dans la plaie ; une plaie dans une âme."
Bonne nuit, chers lecteurs, et à bientôt pour une page plus légère... même si regarder en face, l'espace d'un instant, le monstre tapi à l'intérieur de nous, m'a toujours paru une mesure salutaire... et préventive. Car ce n'est pas une faiblesse de deviner ce monstre en nos tréfonds psychiques les plus inconnus, au milieu d'autres démons et merveilles, mais une force qui nous permet de rester au aguêts. Pour ne pas qu'il nous dévore insidieusement et à son rythme, morceau par morceau, jaillissant à la lueur de circonstances favorables, pour ne laisser de nous qu'un reste d'humain terrorisé par son propre reflet.
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