L’éditrice Sabine Wespieser a l’œil sûr pour dénicher ces auteurs qui écrivent en musiciens, à l’oreille, enchevêtrant les sons bruts et les harmonies subtiles, la scansion des mots et les lambeaux de poésie arrachés à l’émotion qui passe, à la fugacité du bonheur qui vous effleure de ses ailes de papillon. Léonor de Recondo est violoniste, cela s’entend quand on la lit. Sa mélodie vous attrape à la manière dont le petit Michele, dans Pietra Viva, saisit la main de Michel Ange : avec un naturel et un charme désarmants. Le lecteur est traversé au fil du texte par une gamme émotionnelle qui va de la douleur en sourdine aux éclats de joie mais sait aussi restituer toute sa place au silence. Car l’œuvre de la romancière fourmille de taiseux au silence fécond : il y a Aïta, Dans Rêves Oubliés, qui confesse «ne porter en lui que du silence», un silence qui se meut «comme une force lente, constante, comme une masse ardente.» Il y a le silence de Michel Ange, l’ombrageux qui se tient à distance des hommes, ne supporte pas les explications et les disciples et donnera à celui qu’on lui envoie ce conseil : «Ne me dérange pas et vole tout ce que tu peux.» Il y a enfin celui de Céleste, la petite bonne d’ Amours, qui accouche seule d’un enfant qui bouleversera son destin :
«Céleste pousse de toutes ses forces la vie hors d’elle. Point de rideaux, point d’enfants curieux. Un silence qui se fraie dans son âme. Le silence qui précède la vie, le même, exactement le même qui précède la mort, celui de l’être, de la pleine conscience.
Céleste, accompagnée de sa force insoupçonnée et du silence originel donne la vie. Et le cri qui la déchire n’est pas le sien, mais celui de son enfant. A peine né.»
Toute en délicatesse, l’œuvre de Léonor de Récondo se tient en équilibre entre la solitude et la plénitude, la lumière et l’angoisse, la création et la perte. Rêves Oubliés, son deuxième roman, s’attache au destin d’une famille espagnole qui a fui les Franquistes pour se réfugier au pays basque, puis dans une ferme misérable au fond des Landes, endurant la déchéance avec les souffrances de l’exil. Mais du fond de la dureté de leur nouvelle existence, Aïta et Ama éprouvent la force d’un amour inaltéré, la chaleur de leur famille, la vie tonitruante et fantaisiste de leurs trois fils. Face à l’attraction vénéneuse de la nostalgie de ce qui est perdu, chacun s’efforce de saisir le bonheur qui passe et développe un monde secret nourri de ses rêves et de ses aspirations, qu’ils soient tissés de solidarité, de création ou de communion avec la nature. Ainsi un chemin de lumière pourra-t-il subsister, déchirant les ténèbres de la guerre et de la mort.
Dans Pietra Viva, c’est Rome que le sculpteur Michelangelo a fuie après y avoir perdu Andréa, un jeune moine dont la beauté l’émouvait jusqu’aux tréfonds de l’âme. Il s’est réfugié à Carrare, où il doit choisir des marbres pour le futur tombeau du Pape. Au milieu des carriers, fraternité mystérieuse d’amoureux de la pierre que la montagne tue plus souvent qu’à son tour, Michelangelo affronte les fantômes de son passé, celui de sa mère disparue quand il était enfant, et d’Andréa dont lui restent l’éblouissement devant la beauté d’un corps et une petite bible annotée en guise de testament. Sa solitude âprement défendue est troublée par l’affection spontanée du petit Michele qui vient de perdre sa mère, ou par la candeur de Topolino, simple d’esprit qui se prend pour un cheval et brûle d’amour pour une jument blanche. Malgré lui, Michelangelo se laisse émouvoir et troubler par l’humanité de ces quelques êtres qui ont su le toucher. A travers cette brèche ressurgissent les blessures de son passé, traits de lumière entaillant ses certitudes et sa cuirasse. Dans ce texte radieux, Léonor de Récondo nous livre le portrait en clair obscur d’un artiste dont le génie serpente entre les ombres.
«Sa nourrice portait en elle assez d’amour pour lui faire croire qu’il n’avait rien à craindre et que, si cette voie était la sienne, il ne fallait pas la laisser s’échapper. Pour cela, il devait accomplir une chose : oublier les autres et plonger en lui-même. Elle avait employé ces termes. Et quand, la tête la première, il plongea dans son magma intérieur, il s’aperçut que sa chair était faite de pierre vive. De pietra viva.»
Avec Amours, on quitte Carrare pour un bourg cossu du Cher en 1908, une maison bourgeoise d’où transpirent des secrets de famille. Victoire, mariée sans amour à Anselme, espère un enfant qui justifierait le devoir conjugal qu’elle endure et lui donnerait une raison de vivre. L’enfant ne vient pas, ou plutôt lui vient dans le mauvais corps, à la faveur des amours ancillaires d’Anselme. Est-ce sa foi profonde et sa dévotion à la Vierge qui aident Céleste, la jeune servante, à accueillir cet enfant né d’une relation forcée, sans désir ? La nudité enceinte de Céleste, surprise par Victoire, vient déflorer ce secret et la patronne décide de s’approprier l’enfant de sa bonne. Mais le bébé dépérit loin de la chair de sa mère, et Céleste le vole la nuit pour le sauver, peau contre peau. Victoire les surprend et les rejoint, découvre l’éblouissement de la chair, se rencontre en aimant Céleste. L’évidence de la peau, la lumière des corps, l’étreinte amoureuse, l’instinct maternel qui s’éveille avec l’amour... On devine que tout cela aura du mal à bien finir, dans la société très moraliste de l’époque. Mais on ne regrettera pas l’échappée belle, et on laissera à l’auteur le mot de la fin : «De la vie, on ne garde que quelques étreintes fugaces et la lumière d’un paysage.»
Avant de vous quitter, j'en profite pour vous faire part de la naissance très prochaine de mon deuxième roman, la Part des Flammes, qui paraîtra le 19 mars aux éditions Héloïse d'Ormesson. Et en guise d'apéritif, je ne résiste pas à l'envie de partager avec vous sa couverture :
Je vous en reparlerait bientôt ! En attendant, je vous souhaite de bonnes lectures et comme il est encore temps, une très belle année.
Gaëlle Nohant
12 commentaires:
Quelle écriture virtuose, c'est magnifique. La difficulté après avoir lu ton billet, sera de choisir par lequel commencer. Merci pour cette belle découverte Gäelle, et encore bravo pour ton roman ;o)
Très belle année à toi aussi, mais elle sera forcément belle, puisqu'elle va permettre de découvrir enfin ton dernier titre !
J'ai hâte de lire ton roman! Ca fait des semaines que je tanne ma collègue pour lui dire : "Et tu n'oublies pas de demander le Nohant à ton repré, hein?! C'est indispensable!"
@Marie: tu vas adorer Leonor de Recondo, j en suis sûre. Je ne sais lequel te conseiller mais j ai un gros faible pour Pietra viva. Leonor de Recondo est vraiment un auteur à suivre.
@inganmic: merci à toi;-) je suis très fière et très heureuse de pouvoir enfin annoncer la parution de mon roman, après quatre ans passés à l écrire et 2 autres années avant de le faire éditer. J espere que tu l aimeras!
@Gaël: je suis touchée et flattée, j espère que tu auras autant de plaisir à lire La Part des Flammes que tu en as eu à lire l Ancre des rêves.
j'ai Amours et Pietra viva dans ma pal... Il n'y a plus qu'à :-)
Oh, super, un nouveau livre de toi, ça c'est géant !!! Une excellente nouvelle ! Moi je me suis remise au dessin, c'est un autre domaine, plus le mien que l'écriture... Des biz, miss !
Excellente nouvelle, que la publication de ce roman ! Il est paru en avant-première chez FL, n'est-ce pas ? Je l'ai vu dans un catalogue chez mes parents au moment de Noël. J'ai trouvé la couverture peu attrayante, celle des éditions H. d'O est bien mieux je trouve. C'est peut-être futile car ça ne change rien au contenu mais quand même...
@Yueyin : alors Pietra Viva, ça t'a plu ? Amours te plaira aussi beaucoup je pense ;-)
@Tatooa : heureuse de te revoir ici ! Félicitations pour le dessin, où peut-on voir tes œuvres ? Bises et j'espère à bientôt !
@Mei : ravie de te revoir aussi Mei ;-) oui La part des Flammes est paru en première exclusivité chez FL. Et si tu préfères la couverture des éditions Héloïse d'Ormesson, que j'aime beaucoup, tu la trouveras chez ton libraire préféré dès le 19 mars ! J'espère que ce roman vous plaira autant que l'Ancre des rêves :-)
Bonsoir Gaëlle,
Bah voilà, j'ai lu La part des flammes... je m'excuse, je ne suis pas très sympa dans mon billet avec France Loisirs, qui a pourtant eu l'excellente idée de publier ton roman en exclusivité, mais je te rassure tout de suite, cela ne m'a pas empêchée de le dévorer presque d'une traite !!
http://bookin-ingannmic.blogspot.fr/2015/03/la-part-des-flammes-gaelle-nohant.html
@Inganmic : Je n'avais pas vu ton commentaire ! Merci beaucoup pour ce beau billet, je suis touchée ;-) D'autant plus venant d'une blogueuse qui a lu toute ma (maigre) production littéraire !
J'ai eu le grand plaisir de lire récemment "Pietra viva" et "Amours" et je suis depuis sous le charme de Léonor de Récondo. Je vous rejoins lorsque vous parlez de la musicalité de son écriture, elle est fluide et rythmée. J'ai eu le plaisir de discuter avec elle au salon du livre et c'est une personne absolument charmante. Il ne me reste plus qu'à lire "Rêves oubliés".
@Titine : Entièrement d'accord avec vous ;-) Rêves Oubliés est un très beau roman, vous verrez !
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