Comme vous voyez, suivant l'exemple de beaucoup d'entre vous dont la prolixité m'épate et me sidère car de toute évidence, elle ne nuit pas à la qualité... je tente d'adopter un rythme de croisière. Et hop, un autre billet. Je vous avais promis un autre petit plaisir victorien, mais comme je me délecte à lire les dernières nouvelles du monsieur en question et n'ai aucune envie de hâter ma lecture (quelle horreur !), je vous propose une petite séance dvd en guise d'entracte.
D'abord, il faut que je vous confesse qu'il m'arrive de me tromper, c'est à dire de choisir un film selon les critères de l'assistance présente ("un bon film, léger, souriant !"), et en fait... disons que quelque chose déraille en cours de route...
En voici deux exemples : durant les vacances, j'ai proposé à la cantonnade Disparitions, un film de Christopher Hampton avec Emma Thompson (une de mes actrices chéries) et Antonio Banderas (que je chéris moins, mais bon, chacun ses goûts et il faut laisser sa chance à un acteur de nous épater dans un autre registre !).

Et là... ce film est l'histoire d'un metteur en scène de théâtre (Banderas) marié à une journaliste courageuse (Emma Thompson). Ils s'aiment profondément et ont une fille un peu maigrichonne mais douce et charmante. Seul hic : ils vivent en Argentine, pendant la dictature militaire. Aïe aïe aïe... dès le départ, quand des Ford Falcone vertes arrivent en trombent devant leur maison et enlèvent la journaliste, on sent que pour le côté léger, il faudra repasser plus tard.


Eh bien : le mari de la jeune femme qui a rejoint la foule des disparus, tous ces étudiants, ces femmes, ces hommes, ces enfants et ces gamines qui se sont évaporés dans la nature un beau jour, sans qu'on retrouve d'eux autre chose qu'une paire de lunettes, une chaussure, un ours en peluche ou un cahier déchiré... Mais notre héros a un don. Il touche le parent d'un de ces disparus, et il a des flashes... et on voudrait bien que le réalisateur ait eu la gentillesse de nous épargner ces flashes, mais ce serait trop facile, naturellement : il voit (et nous aussi, par le fait) torturer des gosses, violer des filles, il voit des tortionnaires jouir du spectacle et rivaliser d'inventivité pour réduire l'humain à l'état de bête implorante... il voit sa femme écartelée, tenaillée, il la voit se battre, seule, abandonnée à ses bourreaux. Il la perd, tout le temps, comme si son amour la dérobait à lui au lieu de le guider vers elle.
Parfois, il voit quelqu'un s'échapper, celui-là va s'en sortir, peut-être.
Ce film est un thriller, et le pire, c'est que si le tissu du film est une fiction admirablement construite, jouée et réalisée, en dessous palpite une vérité historique impossible à regarder de plein fouet. Le seul moment de paix du film, disait en riant un des spectateurs le lendemain, c'est lorsque le medium se rend dans une hacienda, sorte d'arche de Noë dans la tempête, que tiennent deux rescapés d'Auschwitz... parenthèse : ils ont bien choisi leur villégiature, ceux-là ! Après les camps, la junte militaire, et le repaire d'une grande partie de leurs anciens bourreaux nazis ! C'est ce qui s'appelle le FLAIR.
Alors, est-ce que je conseille ce film ? Oui, et non. Oui à ceux qui s'en sentent la force, parce que c'est un film superbe, et courageux, puisqu'il dit au moyen de la fiction (selon moi et beaucoup d'autres plus intelligents, le meilleur moyen qui soit !) une vérité nécessaire. Oui, parce qu'encore aujourd'hui, en Argentine, des archéologues essaient d'assembler de grands puzzles à partir de minuscules bouts d'os pour tenter d'identifier des corps disparus dont le deuil n'a pu se faire. Oui, parce que tous les militaires qui ont perpétué ces forfaits ont été graciés par le président Carlos Menem. Il est si facile de gracier des bourreaux, de les réintégrer en douce ou ouvertement parmi les cadres de la société. Mais seules les victimes devraient avoir ce droit, comme celui de pardonner, et elles gisent six pieds sous terre dans le désert argentin, dévorées par les animaux, tandis que leurs familles espèrent encore les voir un jour franchir la porte de la maison. Pas de corps, pas de deuil possible.
Mais je peux aussi vous le déconseiller, car je ne suis pas sûre qu'il soit nécessaire d'assister à ces tortures pour avoir l'échine hérissée par ce qui s'est passé là-bas, ce que l'homme est capable de faire à l'homme, ici ou dans d'autres parties du monde, encore et toujours, à l'heure où je vous parle. Je ne suis pas sûre que montrer tout soit un préambule obligatoire. Je pense même que l'image comporte des dangers latents. Celui du voyeurisme, par exemple. Celui de confondre une réalité historique avec le dernier film d'horreur. J'ai lu Le Choix de Sophie, je n'ai pas eu besoin de le VOIR, même si j'aime beaucoup Meryl Streep. Je n'en ai pas eu besoin. Le livre, les mots, me hantent encore. Primo Levi me suffit pour toucher l'intouchable qui brûle les doigts, le pays où "il n'y a plus de pourquoi". Je me souviens avoir été glacée par la visite d'Auschwitz, ces montagnes de lunettes, de cheveux, de valises avec les noms des propriétaires dessus, écrits soigneusement par l'espoir... Cela valait toutes les images de tortures. On ne ressort pas vivant d'une chambre à gaz. Il est difficile d'y entrer avec une caméra. C'est presque un blasphème. Et pourtant, j'aime la Liste de Schindler, peut-être parce que c'est une FICTION, et que par là-même, elle n'entre pas dans Auschwitz, même si elle fait semblant. Elle l'effleure seulement, avec une certaine délicatesse, et permet l'identification aux personnages : y compris au bourreau nazi joué par Ralph Fiennes, et surtout à Oscar Schindler, ce beau personnage complexe et ambigü. C'est une fiction, pas un documentaire. Disparitions est aussi une fiction, me direz-vous, mais qui montre tellement l'inmontrable qu'elle m'a posé davantage de questions. Non que je doute des intentions du réalisateur, de son engagement, de celui des acteurs. Je parle juste de l'impact du film sur moi. Je ne suis pas sûre que j'aurais envie de montrer ce film à des adolescents. Je crois que je préfèrerais qu'ils lisent Isabel Allende, ou d'autres auteurs latino-américains. Mais ça n'engage que moi, c'est une affaire très personnelle. Et de ce film je retiens aussi cette image lancinante et sobre d'une procession silencieuse portant des pancartes demandant des comptes au gouvernement, mendiant des renseignements sur les disparus, une certitude de la mort ou de la vie, un lieu où déposer son chagrin, une tombe, même faite de tourbe et d'herbe sauvage. Et les sanglots brisés d'une mère qui entend les cris de sa fille torturée, derrière une porte. Là, pas besoin d'image supplémentaire.



Mais ensuite, cela se gâte. Je ne vous en dis pas plus mais j'ai fini ravinée par les larmes, mon homme dans le même état, et il m'a dit en riant : "Encore un choix très pertinent, dans le genre léger !".
Cela dit, nous ne regrettons pas une seconde de l'avoir vu, attention. Et celui-là peut être montré à des adolescents sans crainte. L'humour est là, ce raffinement humain qui escorte les désespoirs de la vie, fidèlement, et nous sauve la vie, nous permet même de survivre, parfois, à l'intolérable, même si on y laisse pas mal de larmes, je vous préviens. "L'humour, c'est la politesse du désespoir", dit Cioran.

J'ajouterais à cette définition superbe : un bien précieux, à cultiver sans cesse, à travailler. Un très beau film, mais si vous avez un gros coup de blues, soignez-le d'abord... A moins que ce film n'agisse comme un électrochoc. En bref : faites comme vous voulez !
Maintenant, pour les mélancoliques incurables de la rentrée, un remède judicieux, préalablement testé sur des sujets consentants, les mêmes que précédemment:

C'est une série télé, Medium, à voir en anglais si possible (en français les enfants ont des voix à gifler, ce qui est bien dommage mais fréquent), avec la délicieuse Patricia Arquette. L'ayant ratée au cours de l'année (elle passait à une heure tardive sur M6), je me suis procurée la saison 1 pour les vacances... un petit bonheur.
Le thème : Allison Dubois, jeune femme de trente ans, mère de trois charmantes filles,


Signe particulier : chaque nuit elle cauchemarde et se réveille en sursaut, ce qui réveille du même coup sa moitié. Ces cauchemars, dont la noirceur en général se teinte d'étrangeté et de comique (comme le font nos rêves), sont le démarrage de chaque épisode. La différence avec nos cauchemars, c'est que ceux d'Allison Dubois se réalisent. Ou vont se réaliser. Ou se sont déjà réalisés. Sans compter les morts qui lui parlent à trois heures du matin dans sa chambre à coucher, ceux qui lui murmurent des secrets sur un lieu de crime... on n'aimerait pas être à sa place, ni à celle de son mari, lequel joue à merveille : c'est un mari idéal, plein d'humour et de rationnalisme, très amoureux de sa femme qui se qualifie elle-même de "psychic, or psycho, as you want".


et quand elle est enrhumée, tout ce chaos déraille complètement ! Ajoutons qu'elle devient aveugle quand il s'agit de ses proches, et n'a pas plus d'intuition féminine ou maternelle qu'une ménagère de base. Et... il faut coordonner tous ces "indices" irrationnels avec la rectitude pointilleuse d'une procédure judiciaire, ce qui n'est pas une mince affaire. Exemple: comment peut-on faire admettre comme preuve recevable à un procès que le corps d'un adolescent a été déterré grâce à l'instinct d'une médium ? Outre ces problèmes quotidiens, Allison en a d'autres, mélange de préoccupations terre à terre (se chamailler avec son mari sur le sujet sensible de qui amènera les filles à l'école, se faire engueuler parce qu'elle sort en pleine nuit pour visiter une scène de crime, appelée deréchef par le procureur, ne pas pouvoir assister au gala de fin d'année de ses filles, avoir toujours l'impression d'être une mère insuffisante et une professionnelle qui ne donne pas assez) et de soucis liés à sa particularité : une de ses filles se lie avec un fantôme, son mari se plaint de ne jamais pouvoir passer une nuit tranquille, ou que les "rêves" de sa femme lui réfrigèrent un peu la libido au réveil...

Chaque épisode est construit différemment, ce qui ajoute au charme de l'ensemble et au bonheur du jeu des acteurs, que ce soit Allison elle-même, parfaite, son mari, l'excellent jake Weber, le procureur ou les filles, lesquelles ont chacune une sacrée personnalité.
La série a été inspirée par le film Intuitions où Cate Blanchett jouait le rôle d'une medium mère de famille, mais mère célibataire, et disons que le film était plus noir. Là, on rit autant qu'on tremble. Aucune restriction pour les âmes sensibles.
Régalez-vous, et n'ayez crainte, même si les deux exemples précédemment cités vous ont prouvés que je pouvais aussi plomber l'atmosphère d'une bonne soirée entre amis d'un coup d'un seul, par le seul choix d'un bon dvd. Non, trêve de plaisanterie : dans ma liste, il n'y a que des bons films. A vous de faire vos choix, selon vos humeurs, et disons que pour le blues de rentrée, Medium me paraît on ne peut plus approprié.
Il paraît qu'il y a une vraie Allison Dubois, dont voici la photo.

A part ça, je n'ai pas d'opinion ou de croyance particulière envers les médiums. C'est le genre de choses que je préfère ignorer, comme les tables tournantes et les filles possédées. Les visiteurs réguliers de mon blog l'auront compris. Mais je sais que la police travaille régulièrement avec des gens qui se disent médiums, tentant de faire le tri entre les charlatans et les visionnaires... il paraît que parfois, ils y trouvent de l'aide. Je n'en sais pas plus. Pour davantage de détails, s'adresser au FBI, aux R.G. ou à la police nationale.
A très bientôt ! Je tiens des cadences infernales. Jusqu'où irai-je ?
Gaëlle
PS n°1 : A ceux et celle qui trouveraient que mon billet manque un peu de liant, je fais remarquer que d'une part le premier film et la série télé parlent de ces mêmes phénomènes tellement liés à l'affectivité, qui vont du "sixième sens" au flash médiumnique, et où la vision s'obscurcit quand elle touche à ceux qu'on aime trop, un peu comme les médecins répugnent à soigner leurs proches... et d'autre part, que le film n°2 et la série Médium traitent de ces grands-écarts permanents que sont nos vies, anormales (ou paranormales) ou pas, entre aspirations et couches-culottes, ambition professionnelle et culpabilité maternelle, difficulté à faire tenir une famille debout sans trop de casse, sans parler d'un couple, exercice périlleux s'il en est !
PS n°2 : Pour les patients et ceux dont la rentrée a vidé le porte-monnaie : selon le site consacré, la deuxième saison de la série médium commencera sur M6 à partir du 26 mars prochain. Avec ce que je vous en ai dit, même sans avoir vu la première, vous devriez vous débrouiller ! Et sinon, entre temps, Noël sera venu avec son cortège de cadeaux... certain site internet soldait l'an dernier les séries télé à moitié prix, pour les fêtes... auraient-ils la brillante idée de recommencer cette année ? Prions, mes frères. Et surtout, si vous croisez une Ford Falcone verte, faites gaffe, surtout si elles sont plusieurs, et à la file indienne...