16 mai 2006

Du bush australien à l'Angleterre victorienne

Bonjour à tous !

Je voulais vous conseiller quelques livres de poche pour les lecteurs gourmands au budget serré (ça va souvent ensemble, le budget serré étant même parfois la conséquence de la gourmandise, par ex dans mon cas) :

— Love Song, De Nikki Gemmel : un de mes livres de chevet !

Embarquez pour l'Australie, et faites la connaissance de Lillie Bird, une jeune fille qui a mis le feu à son école, mais ne s'en souvient pas, qui vit en recluse depuis, entre ses parents aimants, en butte à l'hostilité de la petite communauté où ils vivent, pétrie de religion étroite et de médisances. Révoltée, obsédée par la liberté de mouvement qu'elle n'a pas, Lillie va trouver le moyen de fuir, vers Londres, où elle va rencontrer deux hommes, et éprouver sa capacité à désirer et à aimer, et cogner sa liberté farouche contre les limites de la situation d'étrangère dans une grande ville... C'est superbement écrit, et vous ne pourrez pas sortir de ce roman avant de l'avoir fini.
Voici un extrait, pour vous donner envie : " ... en cette fraction de seconde je décide de ne plus être quelqu'un qui réprime anormalement ses émotions, je veux prouver que cette attitude m'enchaîne à une vie de ruse, de malhonnêteté, d'envies harcelantes, que tout ça me grignote comme une foule de petites langues, ça dure depuis huit ans, l'expérience est terminée, c'est un fardeau que j'ai trop longtemps porté. Mon enfermement a viré à l'immense tristesse, une tristesse qui s'est déposée sur les coeurs de ma famille comme des sédiments, et voici la possibilité que tout soit effacé en une brève nuit."

Petit message perso à l'adresse de Nikki Gemmel, cette ensorcelleuse (dont je doute qu'elle le lise un jour mais bon) : Quand vas tu nous écrire un autre roman magnifique ?...Le dernier date d'oct 2001 pour la traduction française ! Ça fait long, même s'il faut du temps pour écrire un bon livre...

— Alors là, je ne sais lequel choisir alors je vous conseille pêle-mêle les trois romans de l'écrivain anglaise Sarah Waters, dont deux au moins sont sortis en poche : "Caresser le velours", "Du bout des doigts" et "Affinités".



Sarah Waters est déjà une grande romancière, très originale, et elle a choisi d'écrire des romans qui se passent sous l'Angleterre victorienne, mais, un peu comme Michel Faber (dont je ne rate jamais l'occasion de chanter les louanges), elle écrit de vrais romans victoriens d'aujourd'hui, en parlant de tous ceux dont les romans victoriens ne pouvaient pas parler au risque d'être censurés ou emprisonnés. En premier lieu, les amours "illicites". Mais surtout, elle a l'art de construire des intrigues palpitantes, elle a un style personnel et envoûtant, et ses romans vous transportent direct au XIXème siècle ! C'est moderne et fidèle à l'époque, c'est un régal. J'ai un faible particulier pour le dernier, qui se déroule en grande partie dans la prison de Newgate, un endroit horrible où va naître une curieuse histoire d'amour, à base de spiritisme, de télépathie, de messages codés... enfin, petit avertissement : attendez-vous à vous faire duper, car Sarah Waters est aussi une manipulatrice de talent qui joue avec le lecteur comme avec ses personnages... On s'attache beaucoup à ses héroïnes, et ce n'est pas sans risques. Vous serez prévenus !

Mais comme j'avais dit que je conseillais des poches, je vais vous donner un petit extrait de "Du bout de doigts", une histoire passionnante qui fait se rencontrer, dans une histoire riche en rebondissements, le monde des voleurs londoniens à la Oliver Twist et celui des collectionneurs d'ouvrages interdits, spécialisés dans le fétichisme ou la littérature érotique :

Voici donc l'extrait, pour que vous goûtiez le style, un peu comme une degustation de vin :

" J'entendais parfois murmurer autour de moi :
— C'est Sue Trinder. Celle dont la maman s'est fait pendre pour meurtre. Ce qu'elle est crâne !

Cela me faisait plaisir. N'importe qui aurait été flatté. Pourtant — je n'ai plus de raison de ne pas l'avouer — le fait est que je ne crânais pas du tout. Pour avoir du courage, dans une situation pareille, il faut d'abord avoir du chagrin. Comment aurais-je pu en avoir pour une personne que je n'avais même pas connue ? Sans doute, c'était dommage que ma mère eût été pendue, mais du moment qu'elle était bien morte et morte ainsi, j'aimais mieux savoir qu'elle avait trinqué honorablement, et pas pour une horreur, qu'elle avait tué un avare pour son argenterie, qu'elle n'étais pas une étrangleuse d'enfants. Sans doute, c'était dommage qu'elle m'eût laissée orpheline, mais je connaissais aussi des filles dont la mère était folle ou ivrognesse, quelqu'un avec qui elles ne s'entendaient pas ou même qu'elles haïssaient. J'aimais mieux une morte !
J'aimais mieux Mme Sucksby. Elle, les autres mères ne lui arrivaient pas à la cheville. On lui avait payé ma pension pour un mois, et il y avait dix-sept ans qu'elle me gardait — par amour, forcément, ou je ne m'y connaissais pas. Elle aurait pu tranquillement me mettre à l'hospice. Elle aurait pu me laisser brailler dans un berceau ouvert à tous les courants d'air. Mais non, elle tenait tellement à moi qu'elle ne voulait même pas me laisser grinchir, de peur que je me fasse coffrer. Tellement qu'elle me faisait dormir avec elle, dans son propre lit, et qu'elle me lavait les cheveux au vinaigre. C'est ce qu'on faisait pour les bijoux.


Voilà, c'est tout pour aujourd'hui ! Mais si vous avez des plaisirs de lecture à partager, allez-y, ne vous gênez pas !
Bonne journée à tous,

Gaëlle

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore des ouvrages a glisser sur ma liste... non d'une pipe, je vais finir par nous ruiner ^^ ( heureusement que je vais beaucoup à la bibliothèsue aussi...)

Anonyme a dit…

"On ne le considérait pas - les femmes de chambre en tout cas, comme un candidat sérieux. Le palais de son père se trouvait à Ithaque, rocher parsemé de chèvres ; il avait les habits d’un rustre et les manières d’un caïd de village. Il avait déjà énoncé un certain nombre d’idées compliquées que les autres jugeaient bizarres. On le disait toutefois assez rusé. En fait il l’était trop pour son propre bien."
c'est Ulysse, prétendant à la main de Penelope dans
Margaret Atwood, L’Odyssée de Pénélope, Flammarion.

et les suivantes ?

« Nous étions douze. Douze derrières ronds comme la lune, douze bouches appétissantes,, vingt-quatre tétons moelleux et, par-dessus tout, vingt quatre pieds agités de soubresauts. »

Gaëlle a dit…

A Doune : Oui je sais, je suis la tentatrice qui met en péril le budget mensuel avec mes idées bouquins. Mais bon, rien de tel qu'un bon livre, et en poche, en plus, c'est moins de culpabilité, tu ne trouves pas ?..

A Rotko : Je connais Margaret Atwood et j'aime beaucoup cet auteur (notamment " Le tueur aveugle" et surtout "Captive", formidable roman qui pourrait faire l'objet d'un prochain conseil littéraire) mais je reste dubitative sur la provenance du deuxième extrait... Margaret Atwood aussi ?.. en tout cas, j'avais entendu parler de L'Odyssée de Pénélope et j'avais envie de le lire, alors merci pour ton extrait !

Holly Golightly a dit…

Question littérature, on a beaucoup en commun.
A propos de Dracula, connais-tu la trilogie de Kim Newman ?

Et possèdes-tu le guide du centenaire de Dracula de Alain Pozzuoli, Ed. Hermé ?

Gaëlle a dit…

Non, aucun des deux ! Mais je vais aller à la bibliothèque et regarder un peu ça, si je les trouve... merci de tes conseils de lecture ! Je suis RAVIE car si nous avons beaucoup en commun en effet, tu es à mon avis plus pointue sur certains sujets, ce qui va me permettre de continuer à découvrir des livres et des auteurs. Chic. J'ai vu que tu aimais aussi Thackeray, que j'adore, et qui était l'auteur favori de Charlotte Brontë. Et as-tu lu George Eliott ? Je n'ai encore rien lu d'elle, mais je m'y suis intéressée pour un futur roman.

Holly Golightly a dit…

George Eliot est IMMENSE.
J'en dis deux petits mots ici :
http://rosesdedecembre.blogspot.com/2006/05/le-cri-de-logre.html
Et Barrie disait ceci d'elle :
http://rosesdedecembre.blogspot.com/2006_05_30_rosesdedecembre_archive.html

La trilogie de Kim Newman est tout à fait étonnante. Si tu la trouves, tu devrais grandement aimer.

BelleSahi a dit…

Du bout des doigts est un livre incroyable. A la fin de la première partie j'ai été bluffée par l'effet de surprise, par la tournure que prenait l'histoire.