14 mai 2006

Des bas-fonds de Londres à un mariage collet-monté

La Rose Pourpre et le Lys, de Michel Faber, fabuleux roman qui se passe au milieu du XIXème siècle en Angleterre... l'auteur a mis 20 ans à l'écrire, et je comprends pourquoi : il est très documenté, et c'est une merveille d'écriture, les personnages sont captivants, complexes, l'histoire est très prenante... lisez-le, vous serez transporté à Londres à l'époque de Dickens, mais avec une écriture moderne sans être anachronique... Je ne vous en dis pas plus, si ce n'est que j'avais déjà mon idée de roman se passant en 1897 quand je l'ai lu, et après l'avoir lu, je me suis dit : "Voilà le genre de livres que je veux écrire sur cette époque !!" Sauf que le mien se passera à Paris à la fin du siècle. Mais j'ai réalisé que c'était possible, même si c'était ambitieux, de revisiter le roman victorien avec les connaissances d'aujourd'hui sur la psychologie, la psychanalyse, la sociologie, et surtout avec un style d'aujourd'hui sans être infidèle à l'époque, et c'est grâce à ce merveilleux romancier.
L'histoire : A Londres, en 1875, plusieurs destins vont se croiser qui auraient pu ne jamais même se frôler, tant ils appartiennent à des sphères distinctes de la société : une jeune prostituée à la réputation de "virtuose" en son art, Sugar, qui cache dans les profondeurs de ses pensées une haine viscérale des hommes et de leur tyrannie, va rendre captif de ses charmes un jeune bourgeois en pleine ascension sociale, William Rackham, qui a l'infortune d'être marié à une femme malmenée par ses nerfs et qui devient chaque jour plus incontrôlable, Agnès. De la rencontre de ces trois être va naître une intrigue palpitante de bout en bout, dont on savoure chaque page, et qui est comme un bouquet de senteurs où se mêlent les arômes vulgaires et raffinés du Londres victorien.

Un extrait, pour vous mettre l'eau à la bouche :

" L'héritier des Parfumeries Rackham, vêtu d'un costume propre, étourdi par le manque de sommeil, est debout dans son salon à regarder la pluie tomber, se demandant si ce qu'il éprouve est de l'amour. Il a été rudement saucé, il a été volé par le cocher qui l'a ramené, il lui a fallu sonner quatre fois à sa porte, l'eau de son bain a mis un siècle à venir, et maintenant il attend son petit-déjeuner — mais rien de tout cela n'a d'importance. Là-bas, pense-t-il, se trouve la femme de ma vie. Il tire plus fort sur le cordon, et les rideaux s'écartent autant qu'ils peuvent. Mais la pluie torrentielle qui l'a suivi depuis la ville jusqu'à Notting Hill ne laisse pas passer beaucoup de clarté ; c'est plutôt une sorte de pâleur qui filtre à travers les portes-fenêtres, se déposant comme un couche de poussière sur le salon éclairé. Neuf heures et demie, et les lampes sont encore allumées ! Ah, mais ça n'a pas d'importance. La pluie est magnifique : comme la pluie peut être magnifique ! Et pensez à toutes les saletés qu'elle emporte ! Et pensez aussi : rien qu'à quelques kilomètres au sud-est, sous le même ciel, très probablement encore au lit, se trouve un ange malicieux nommé Sugar. Et en elle, brillant comme un trésor dans la caverne de sa matrice, se trouve sa semence.
Il insère une cigarette entre ses lèvres pincées et l'allume, confirmant la décision qu'il a prise presque immédiatement après être sorti de chez Mrs. Castaway : il faut que Sugar soit toute à lui. Un vain rêve ? Pas du tout. Il lui suffit d'être riche, et la richesse, la grande richesse, il n'a qu'à la réclamer."




Une pièce Montée, de Blandine le Callet : rien à voir avec le premier livre, mais un premier roman très réussi, qui raconte un mariage très bourgeois démonté comme une pièce de théâtre, vue à travers les yeux de plusieurs protagonistes... c'est décapant, émouvant, triste, amer, caustique et tendre en même temps. Je vous le conseille ! C'est le premier roman écrit et publié, apparemment, par cet auteur, et à peine avait-elle déposé son manuscrit chez Stock que le directeur l'appelait en personne pour lui proposer un contrat. Le genre de conte merveilleux qui n'arrive pas souvent, en tout cas quand on n'écrit pas ses mémoires de mannequin ou d' animateur télé. Eh bien là, cette chance est totalement justifiée, et il est réconfortant de voir qu'on peut aussi éditer rapido quelqu'un de talentueux !

Tout de suite, quelques lignes de Blandine Le Callet, en lui souhaitant une longue et féconde carrière :


"Il voudrait juste une cérémonie à la mairie, et une fête à la campagne, avec leurs amis. Quelque chose de simple. Bérengère ne l'entend pas de cette oreille. Elle veut se marier à l'église ; elle veut une messe.

— Mais on n'est croyants ni l'un ni l'autre, pourquoi tu veux aller à l'église ?

— Qui t'a dit que je n'étais pas croyante ? Je me pose des questions, comme tous les gens qui ont un peu de profondeur. Je crois qu'il y a quelque chose...

— Je n'ai pas le prétention d'être aussi profond que toi, réplique-t-il d'un ton cassant, mais enfin, moi aussi, je me pose des questions... Peut-être qu'il y a "quelque chose", comme tu dis, mais je n'ai pas l'impression de l'avoir trouvé dans les églises !

Elle balaie son objection d'un revers de main.

— De toute façon, la question ne se pose même pas : ma famille en ferait une maladie. Je ne peux tout simplement pas leur faire ça.

Il sait très bien que sa famille n'est qu'un prétexte. Ce n'est pas quelques grincements de dents qui arrêteraient Bérengère, si elle était décidée à ne pas passer devant M. le curé. Non, en vérité, ce qu'elle veut, c'est un mariage "en grand", et de belles photos des mariés attendant avec ferveur la bénédiction nuptiale au pied de l'autel. Et ce n'est pas tout : elle veut une robe de princesse, un cortège d'honneur ; elle veut un dîner délicat, un décor raffiné, un temps radieux, une fête magnifique.

— Ça doit être le plus beau jour de notre vie, Vincent, assène-t-elle en détachant les syllabes pour donner à ses paroles le poids nécessaire. C'est comme un spectacle, tu comprends ? Une pièce de théâtre. Nous sommes les personnages principaux, et les invités sont à la fois les figurants et les spectateurs. Pour que ça soit réussi, tout doit être réglé au millimètre !

Il la regarde, incrédule. Il n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle. Il se demande un moment si elle n'est pas en train de plaisanter. Mais non, elle est on ne peut plus sérieuse. La voici investie d'une véritable mission : tout mettre en œuvre pour que leur mariage soit un événement exceptionnel, une sorte de performance inoubliable. Tandis qu'elle lui expose la règle des trois unités pour une représentation mondaine parfaitement orchestrée, il la regarde sans la reconnaître, sans comprendre de quoi elle parle, et son mariage, à compter de cet instant, lui apparaît comme un spectacle auquel il n'a pas été invité."







Pour terminer, un petite séquence cinoche : j'ai vu en DVD trois films que j'ai trouvés très bons, chacun dans leur genre :

Collision, de Mike Figgis : tout le monde en a beaucoup parlé au moment des Oscars car il avait beaucoup de nominations, mais c'est un film magistral sur l'Amérique d'aujourd'hui, superbement joué. Pour ceux qui ont aimé "Magnolia", c'est aussi une mosaïque de destins qui vont se croiser, ou plutôt se fracasser les uns contre les autres au cours d'accidents de voiture et d'accidents de parcours... c'est un film sur tous les racismes, sur la haine qui divise ceux qui devraient faire front commun : les laissés pour compte de l'Amérique, et aussi les flics, les gens "bien", tous ceux qui sont aussi dans la peur et le racisme, repliés sur eux-mêmes. On en sort vidé mais reconnaissant.




Ripley's game, de Liliana Cavalli, adaptation très réussie d'un roman de Patricia Highsmith (vous avez peut-être vu "The talented Mister Ripley", avec Matt Damon, Gwineth Paltrow ? Imaginez John Malkovitch dans le rôle du dangereux Mr Ripley, que jouait John Malkovitch, et un film à la Hitchcock, élégant, raffiné, glacial, palpitant.





L'interprète, de Sidney Pollack avec Sean Penn, Nicole Kidman et Catherine Keener : très beau film profond et fort sur la perte et le deuil, la vengeance, sur fond de polar palpitant ayant pour sujet le risque de voir assassiner un dictateur africain en pleine conférence de l'ONU.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Ouuuh tu me donnes envie avec tous ces conseils! j'avais en effet entendu l'auteur d'"une pièce montée" et ça me donnais très envie... mais j'attendrai qu'il sorte en poche (grosse consommatrice comme je suis, c'est plus raisonnable...)

Au fait, ton lien vers ton site n'a pas lair de fonctionner :(

Anonyme a dit…

j'ai découvert ton blog grace à un lien qu'il y avait sur le blog de doune (que je vais voir ts les matins!!) et moi aussi j'ai la même passion, je n'ai que 21 ans, j'ai écrit plusieurs nouvelles, participé à des concours mais je ne m'y suis pas encore mise "sérieusement"...pourtant c'est mon rêve, même s'il n'est pas publié d'arriver à écrire un "vrai" roman, pour le moment aujourd'hui ça n'excéde pas la huitaine de pages... :(
bref je voudrais lire ce que tu écris mais je ne trouve pas de liens vers tes textes...pourrais-tu m'indiquer où ça se trouve?
merci et bonne continuation
anne laure

Gaëlle a dit…

Doune : Donner envie, c'est le but ! En ce qui me concerne, je suis aussi une grosse consommatrice avec un budget serré, et la prochaine fois, je donnerai un conseil littéraire sorti en livre de poche... comme ça, pas de frustration ! Pour le lien avec mon site, tu as raison hélas... je ne sais pas trop ce qui se passe, ce site est peut-être timide ?... en tout cas, ce n'est pas une basse manœuvre pour susciter la curiosité, c'est juré.
Anne Laure : Je vais aussi voir le blog de Doune tous les matins, et je te remercie de ton message ! Je ne peux que t'encourager à écrire un roman, c'est une sorte de course de fond passionnante, même si les doutes sur ton travail risquent de t'assaillir en cours de route... C'est quand même l'exercice que je préfère, car il permet de développer vraiment ses personnages et de créer une intrigue, un peu comme une charpente, en assemblant toutes les pièces pour que ça tienne debout ! En fait, si mes nouvelles intéressent quelques lecteurs, à terme je mettrai peut-être un roman en ligne, chapitre par chapitre, un peu comme les romans feuilletons du XIXème siècle. En tout cas, lance-toi, c'est comme ça qu'on apprend. Et ne te décourage pas, surtout ! Je trouve que lorsqu'on a goûté au roman, c'est comme nager des kilomètres, on ne peut plus s'en passer. La difficulté est à la mesure du bonheur qu'on y trouve.

Gaëlle a dit…

A Anne Laure : je viens de remettre certains de mes textes sur le lien "café littéraire-message aux visiteurs", en attendant que mon site fonctionne correctement... Merci de ton intérêt et de ta curiosité !

Gaëlle a dit…

Doune : après avoir consulté mon spécialiste informatique (mon cher et tendre) il s'avère que mon lien vers mon site n'est pas un lien, c'est pourquoi ça ne marche pas !! C'est juste l'adresse !!