5 septembre 2013

This is not a love song




En cette rentrée, je vous invite à vous plonger dans trois romans qui évoquent la guerre, de sa puissance d’attraction, de ce qu’elle transforme et abîme en soi, et auscultent l’impossible retour à la vie d’avant, la vie tendre de ceux qui ne savent pas ce qu’est la guerre, qui ne l’ont pas éprouvée dans leur chair ou dans celle des autres. Parmi ces trois livres puissants et talentueux, Aime la guerre ! de Paulina Dalmayer, est un premier roman plein de fougue et de force, à l’écriture nerveuse, virile et féminine. Derrière ce titre provocateur, Paulina Dalmayer nous invite à suivre l’aventure Hanna, correspondante d’un journal européen à Kaboul qui a adopté par choix la vie des exilés dans un des pays les plus dangereux au monde. Aventure d’une vie de perpétuel qui-vive où un instant d’inattention peut vous tuer, et aventure sentimentale car Hanna est éprise de deux mercenaires et que ce Jules et Jim en temps de guerre a tout des montagnes russes. Au fil d’un récit haletant, Hanna nous fait ressentir les ambiguïtés d’un pays âpre et sans merci qu’elle a pris le risque d’aimer, comme elle aime ces hommes de guerre dont le corps couturé, marqué de cicatrices «ressemble à une mappemonde ancienne par endroits illisible.» Et pose en route quelques questions passionnantes sur la nécessité d’accepter la violence comme constitutive de la nature humaine, l’héroïsme et la loyauté des mercenaires, l’intensité d’une vie sans cesse sur la brèche et dans la proximité vertigineuse de la mort : 

«Nous appartenions au cercle restreint de ceux qui savent que «les hommes meurent et ne sont pas heureux.» Et c’est probablement ce qui nous incitait à accélérer le tempo, à feindre la folie et à nous abandonner à l’extravagance.»

«Mieux vaut être une météorite irradiant de mille feux qu’une planète éteinte.», écrit Jack London. La guerre, dans sa réalité brutale et carnassière, rappelle aux hommes ce qui fait le prix de leur vie. Dans le Quatrième Mur, le dernier roman de Sorj Chalandon, Georges, qui s’est forgé dans le Paris soixante-huitard, va voir son existence entière se fendiller suite à la promesse faite à son ami Samuel Akounis, metteur en scène grec et juif qui a résisté à la dictature des colonels et se meurt d’un cancer : monter l’Antigone d’Anouilh à Beyrouth en pleine guerre du Liban pour une représentation unique sur la ligne de démarcation, en prenant un acteur dans chacun des camps. Ce pari fou, utopie fraternelle d’un résistant convaincu que «la violence est une faiblesse», ce rêve d’un répit arraché aux bombes et aux snipers où les ennemis se parleraient à travers les mots du théâtre, Georges l’endosse tel un «devoir fraternel», laissant là sa vie casanière, sa femme et sa petite fille.  A Beyrouth, conduit par un chauffeur druze, il rencontre son Antigone palestinienne, Hémon le Druze, Créon le maronite, trois acteurs Chiites. Le danger entre dans sa vie à la faveur d’un trajet en voiture qui fait de lui une cible, au cœur d’une nuit étrange recroquevillé contre la jambe d’un sniper qui récite du Victor Hugo entre deux tirs. Il découvre la densité physique de la peur, la tension de chaque instant, mais aussi l’étrange exaltation de vivre «au profond de la guerre» :

«Avant le cri des hommes, le sang versé, les tombes, avant les larmes infinies qui suintent des villes, les maisons détruites, les hordes apeurées, la guerre était un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu’à ce que l’air renonce. Une joie féroce me labourait. J’ai eu honte. Je n’avais pas peur. J’ai eu honte. J’étais en enfer. J’étais bien. Terriblement bien. J’ai eu honte. Je n’échangerai jamais cet effroi contre le silence d’avant.»

Mais entrer dans la guerre et goûter à son exaltation, c’est laisser la guerre entrer en soi et tout y ravager, n’épargnant rien de l’homme qu’on était avant. C’est être condamné, tel Ulysse, à un impossible retour, errer dans ce monde en paix auquel on n’appartient plus, ne pas arriver à recoller les morceaux de sa propre humanité, se cogner aux fantômes. Avec le Quatrième Mur, Sorj Chalandon signe un roman magnifique et déchirant sur la fraternité, la résistance, où la tragédie d’Anouilh résonne à travers les ruines, nouant les destins avec une tranquille noirceur.


«Quand l’armistice devint une perspective raisonnable, l’espoir d’en sortir commença à tarauder les plus pessimistes. En conséquence de quoi, question offensive, plus personne ne fut très chaud.»

Ainsi commence le roman de Pierre Lemaître, Au-revoir là-haut, dans les derniers jours de la guerre de 14. Quelques jours avant l’armistice, le lieutenant d’Aulnay-Pradelle déclenche une offensive dans le but de monter en grade in extremis. Albert Maillard, un soldat témoin de cette malhonnêteté, y gagne l’opportunité de mourir enterré vif. Mais c’est compter sans Edouard Péricourt, un camarade qui lui sauve la vie juste avant de se faire emporter la figure par un éclat d’obus. Dès le départ, ce roman est donc placé sous le signe de l’arnaque, et d’autres arnaques découleront de la première dans cet après-guerre qui vénère les morts mais traite bien mal les survivants. Car à la guerre, «on veut des morts franches, héroïques et définitives, c’est pour cette raison que les blessés, on les supporte, mais qu’au fond, on ne les aime pas.» Dans ce bal des faux-culs où s’épanouit la mode des monuments aux morts tandis que les gueules cassées se voient refuser une pension ou un boulot décent, nos trois protagonistes avancent sur les fils d’une intrigue menée de main de maître, savoureuse et poignante. Avec un art consommé du portrait, l’auteur nous captive dès la première ligne de cette histoire féroce et originale où l’on croise des salauds sans scrupules mais pourvus d’un solide sens du commerce, des antihéros cassés par la guerre à la recherche d’un peu d’amour ou d’un dernier pied de nez à cette société qui les préfèrerait tombés au champ d’honneur, un père réalisant son attachement à son fils après la mort de ce dernier, ou encore un terne fonctionnaire prêt à saborder sa laborieuse carrière pour rendre aux Poilus un peu de leur honneur perdu.



Rien de tiède dans cette sélection de rentrée, alors laissez-vous essorer, émouvoir et captiver !

Gaëlle Nohant



8 commentaires:

yueyin a dit…

Houla la guerre ça me traumatise moi, en général j'évite les livre qui en parle mais bon, s'ils sont si excellents que ça... je ferais peut être une exception :-)

Gaëlle a dit…

@ Yueyin : c'est vrai que la guerre c'est pas très vendeur de prime abord... Mais ces trois romans sont vraiment excellents et ça vaut le coup de passer outre ses appréhensions pour se laisser un peu bousculer et bouleversé par des textes aussi forts, chacun dans son genre. Tu me diras ;-)

Karine:) a dit…

J'avais déjà repéré les deux derniers. Contrairement à Yue (yep, ça arrive, des fois, nous ne sommes pas d'accord)j'aime ce thème!

Gaëlle a dit…

Bonjour Karine, je pense qu au delà du thème qui peut effrayer de prime abord, il y a l histoire qui est racontée et surtout la manière dont elle est racontée. Le Chalandon est un livre d une puissance rare, qui ne peut laisser indifférent et par son histoire et par son style. Quant au Pierre Lemaitre, c est finalement plus un livre sur l'après-guerre que sur la guerre. J ai envie de dire( pas à toi puisque le thème ne t arrête pas;-) : allez-y sans préjugés ou appréhensions, vous ne le regretterez pas car les romans de cette force sont rares. Bref, hâte de connaître vos avis à toutes les 2 sur ces romans!

Lilly a dit…

Contrairement à d'habitude, j'ai repéré pas mal de livres en cette rentrée, dont les deux derniers. Je garde un souvenir ému de "Mon traître", et tu n'es pas la première à être enthousiaste pour le Pierre Lemaître.

Gaëlle a dit…

Lilly : je vais lire "Mon traître" dès que j'aurai fini ma PAL de rentrée, qui est plus conséquente que celle de l'an dernier (je suis d'accord avec toi, plus de choses tentantes cette année ).
Je ferai sans doute un billet sur "Faillir être flingué" de Cécile Minard qui est une petite merveille, je suis en train de le lire. Bonne journée Lilly !

choupynette a dit…

adoré Le quatrième mur... il m'a même donné envie de reprendre le blog qui était en mode "coma"...
Le dernier que tu cites me fait très envie aussi.

Gaëlle a dit…

@Choupy : Chouette, du coup je vais aller faire un tour sur ton blog de ce pas !
Le Pierre Lemaître est un bonheur de lecture, vraiment réjouissant, très bien écrit, on sent que c'est un auteur qui a fait ses armes dans le polar. Tu me diras !